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guère à la religion, trop grande dame pour daigner connaître la retenue et n’ayant d’autre frein que l’honneur, livrée à la galanterie et comptant pour rien tout le reste, méprisant pour celui qu’elle aimait le péril, l’opinion, la fortune, plus remuante qu’ambitieuse, jouant volontiers sa vie et celle des autres, et après avoir passé sa jeunesse dans des intrigues de toute sorte, traversé plus d’un complot, laissé sur sa route plus d’une victime, parcouru toute l’Europe en exilée à la fois et en conquérante et tourné la tête à des rois, après avoir vu Chalais monter sur un échafaud, Châteauneuf chassé du ministère, le duc de Lorraine presque dépouillé de ses états, Buckingham assassiné, le roi d’Espagne engagé dans une guerre de plus en plus malheureuse, la reine Anne humiliée et vaincue et Richelieu triomphant, soutenant jusqu’au bout la lutte, toujours prête, dans ce jeu de la politique, devenu pour elle un besoin et une passion, à descendre aux menées les plus ténébreuses ou à se porter aux résolutions les plus téméraires ; d’un coup d’œil incomparable pour reconnaître la vraie situation et l’ennemi du moment, d’un esprit assez ferme et d’un cœur assez hardi pour entreprendre de le détruire à tout prix ; amie dévouée, ennemie implacable presque sans connaître la haine, l’adversaire enfin le plus redoutable qu’aient rencontré tour à tour Richelieu et Mazarin. On entrevoit que nous voulons parler de Mme de Hautefort et de Mme de Chevreuse.

Est-il besoin d’ajouter que nous n’entendons pas tracer ici des poitraits de fantaisie, et que si parfois nous avons l’air de raconter des aventures de roman, c’est en nous conformant à toute la sévérité des lois de l’histoire. On peut donc compter et bientôt on reconnaîtra que ces peintures en apparence légères méritent toute confiance, et qu’elles reposent ou sur des témoignages contemporains éprouvés ou même sur des documens authentiques, aussi certains que nouveaux, et qui peuvent défier la critique la plus scrupuleuse. Nous commencerons par Mme de Chevreuse. Elle remonte un peu plus haut dans le XVIIe siècle que Mme de Hautefort ; elle la précède au moins si elle ne la surpasse. Il faut dire aussi qu’elle a occupé une situation plus élevée, joué un rôle plus considérable, et que son nom appartient à l’histoire politique aussi bien qu’à celle de la société et des mœurs.

Mme de Chevreuse en effet a possédé presque toutes les qualités du grand politique ; une seule lui a manqué, et celle-là précisément sans laquelle toutes les autres tournent en ruine : elle ne savait pas se proposer un juste but, ou plutôt elle ne choisissait pas elle-même ; c’était un autre qui choisissait pour elle. Mme de Chevreuse était femme au plus haut degré ; c’était là sa force et aussi sa faiblesse. Son premier ressort était l’amour ou plutôt la galanterie, et l’intérêt