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secret que s’ils ne l’avoient point. Tant s’en faut qu’on ait voulu vous faire avouer une chose qu’on ne sût pas, qu’on voudrait ne savoir pas ce qu’on sait, pour ne pas vous obliger à le dire[1]. » Peut-on s’étonner, après cela, que Mme de Chevreuse recule, ou du moins qu’elle soit fort embarrassée ? Elle écrit le 8 septembre au cardinal pour lui exprimer sa reconnaissance des bontés qu’il lui témoigne, et en même temps le trouble où la jette la conviction manifestement arrêtée dans son esprit, qu’elle est réellement coupable. Sa lettre peint à merveille ses perplexités : « Considérez l’état où je suis, très satisfaite d’un côté des assurances que vous me donnez de la continuation de votre amitié, et de l’autre fort affligée des soupçons, ou pour mieux dire des certitudes que vous dites avoir d’une faute que je n’ai jamais commise, laquelle, j’avoue, serait accompagnée d’une autre, si, l’ayant faite, je la niois, après les grâces que vous me procurez du roi en l’avouant. Je confesse que ceci me met en un tel embarras, que je ne vois aucun repos pour moi dans ce rencontre. Si vous ne vous étiez pas persuadé si certainement de savoir cette faute, ou que je la pusse avouer, ce serait un moyen d’accommodement ; mais vous laissant emporter a une créance si ferme contre moi, qu’elle n’admet point de justification, et ne me pouvant faire coupable sans l’être, j’ai recours à vous-même, vous suppliant, par la qualité d’ami que votre générosité me promet, d’aviser un expédient par lequel sa majesté puisse être satisfaite, et moi retourner en France avec sûreté, et n’en pouvant imaginer aucun, et me trouvant dans de grandes peines. »

Or voici l’expédient qu’inventa Richelieu pour délivrer Mme de Chevreuse des inquiétudes qui la tourmentaient : il lui envoya une déclaration royale par laquelle elle était autorisée à rentrer en France avec un pardon absolu pour sa conduite passée, et notamment pour ses négociations avec le duc de Lorraine contre le service du roi. En recevant cette grâce inattendue, Mme de Chevreuse protesta contre le pardon d’une faute qu’à aucun prix elle ne voulait reconnaître, ne s’avouant coupable que de sa sortie précipitée du royaume. Ses ombrages s’accroissant par le moyen même qu’on avait pris pour les dissiper, elle se mit à examiner, à la lumière d’une attention défiante, tous les termes de cette déclaration, et elle trouva bien du touché dans ce qui se rapportait à son retour à Dampierre. Il n’était pas dit nettement qu’elle y pourrait demeurer en liberté. La seule privation à laquelle elle se condamnait était celle de ne plus voir la reine et de n’entretenir aucune correspondance étrangère. Hormis cela, elle demandait une entière liberté ; elle demandait surtout que,

  1. Manuscrits de Colbert, f° 11, lettre du 24 juillet 1638.