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représenté que par un petit nombre d’échantillons plus curieux qu’utiles. Je ne voudrais pas dire trop de mal des Turcs, qui sont aujourd’hui nos alliés ; mais en vérité, quand on songe à ce qu’ils ont fait du plus magnifique territoire, on ne peut s’empêcher de leur en vouloir. Partout où un Turc met le pied, dit un proverbe syrien, la terre reste stérile pendant cent ans. Il faut espérer qu’à la suite de la guerre actuelle, l’Europe civilisée imposera à la barbarie ottomane d’autres principes de gouvernement, et que les populations chrétiennes, les seules qui travaillent, auront vu enfin sonner l’heure de leur affranchissement définitif. La prospérité de ces belles contrées n’est possible qu’à cette condition.

La pauvre et petite Grèce a voulu offrir son contingent. Malheureusement ce que ses produits ont de plus beau, c’est leur nom ; blés de Sparte, orges de Thèbes, maïs d’Olympie, haricots d’Argos, fèves de Mantinée, garances de Scyros, amandes d’Égine, soies de Messénie, tabacs d’Épidaure, raisins de Corinthe, miels de l’Hymette, vins du Pirée, olives d’Athènes : il est impossible de ne pas tressaillir en lisant sur une humble étiquette ces mots magiques. Plus le passé est grand, plus le présent paraît pénible. Fragment à peine détaché de la Turquie, la Grèce porte encore le sceau funeste que des siècles d’oppression ont imprimé sur elle. Depuis quelques années, elle jouit de la liberté ; mais qu’est-ce qu’un quart de siècle pour réparer des ravages si anciens et si profonds ? Presque partout la terre même a été détruite, et le roc paraît à nu.

La Russie, en guerre avec nous, n’a rien exposé ; ce n’est pas un bien grand malheur. L’agriculture n’y fait pas beaucoup plus de progrès qu’en Turquie. Tout le monde connaît le mot profond de Montesquieu : Quand les sauvages de la Louisiane veulent avoir un fruit, ils coupent l’arbre au pied ; voilà l’image du despotisme. Les tsars semblent avoir pris à tâche de justifier cette définition célèbre. Pour entretenir le luxe d’une capitale factice et mal placée, que les eaux débordées de la Neva emporteront quelque jour, pour entretenir en même temps un état militaire excessif, instrument d’une autorité divinisée et d’une ambition sans limites, ils ont épuisé leur empire d’hommes et d’argent, et sacrifié la réalité à l’apparence. Même dans la Russie méridionale, le faible excédant de céréales qu’on vendait à l’Occident n’était obtenu que par une culture misérable ; la zone qui le produit est si vaste et d’une fertilité telle qu’elle pourrait rapporter de quoi nourrir la population actuelle de l’Europe entière, tandis qu’elle a peine à fournir à l’exportation 4 ou 5 millions d’hectolitres, souvent supprimés par les hasards des saisons.

Ainsi, sans parler des régions désertes de l’Asie, de l’Afrique et de