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à se rapprocher de l’opposition. Canning dans toute la verve d’un esprit vif et d’une jeune ambition, Leveson Gower, cet homme aimable et éclairé qui, devenu lord Granville, a laissé en France comme ambassadeur un nom si respecté, cherchaient partout des alliances pour ouvrir immédiatement les hostilités contre le cabinet. Les oppositions tendent toujours à se coaliser. La diversité des moyens d’agression n’est pas infinie, et la communauté des aversions amène le concert des attaques. Burke n’était plus là pour élever des barrières entre les partis ; la république française n’était plus un club armé pour la propagande démocratique. Lord Fitzwilliam avait depuis longtemps renoué avec Fox les liens d’une véritable amitié. Windham et Thomas Grenville étaient d’anciens whigs que la terreur de 1793 avait seule détachés de lui. Lord Grenville montrait le goût de sa race pour les combinaisons de tiers-parti. Dundas, devenu lord Melville, en se ménageant avec Pitt, passait pour pressé de remonter au pouvoir. Un homme moins expérimenté que Fox, d’un caractère moins sincère, d’un attachement moins pur aux principes, aurait pu se laisser séduire à tant de chances spécieuses de changer par une coalition subite la situation respective des partis. Il vit de plus haut et jugea plus froidement. D’abord il eût regardé comme une trahison de s’unir à la nouvelle opposition pour décrier la paix. Il n’était pas insensible, il le dit lui-même, à la puissance alarmante que cette paix reconnaissait à la France ; mais le temps d’arrêter les progrès de la France était passé. La paix lui assurait toutes ses conquêtes, et en dernière analyse elle ne laissait à l’Angleterre que Ceylan et la Trinité. Moins elle était glorieuse cependant, plus on devait la pardonner au ministère, puisqu’il ne faisait que recueillir les tristes fruits de l’administration précédente.

« D’ailleurs, ajoutait Fox, le sentiment de l’humiliation dans le gouvernement se perdra dans l’extrême popularité de la mesure. Jamais joie ne fut plus universelle et moins feinte, et ce coquin de peuple[1] est ivre de joie de recevoir des ministres ce qui, s’il avait osé le demander, n’aurait pu lui être refusé à presque aucune époque de la guerre. Le triomphe de Bonaparte est complet en effet ; mais puisqu’il ne doit pas y avoir de liberté politique dans le monde, je crois réellement qu’il est l’homme le plus fait pour être le maître. » Il s’exprimait ainsi dans ses lettres particulières ; mais il se hâta de professer en public une approbation qui était d’accord avec sa constante politique, donnant ainsi sur cette grande question le mot d’ordre à son parti. Pitt se crut obligé d’approuver également, tout en exprimant quelque regret. Grenville et Windham blâmèrent

  1. « This rascally people. »