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Russell autorisent à penser que Fox s’unit à Grenville d’une manière complète ; mais rien n’indique qu’il eût reçu ou même réclamé de la part de Pitt les assurances d’un concours qui n’aurait jamais été absolu ni cordial. Seulement on vient de voir qu’après avoir longtemps douté du retour de son rival au pouvoir, il s’était résigné à contribuer, s’il le fallait, à ce retour, pourvu que la royauté fût vaincue. La guerre actuelle n’était plus cette guerre de principes qu’il avait détestée. La France ne soutenait plus la cause de son indépendance, mais la cause de sa grandeur. Son gouvernement, qui s’annonçait pour devenir prochainement impérial, n’était plus, surtout après la journée du 21 mars 1804[1], un de ces pouvoirs qui, malgré les rivalités nationales, pouvaient inspirer à Fox la sympathie et la bienveillance. Tout en désirant le maintien ou le rétablissement de la paix, Fox n’était plus séparé par un abîme des partisans de la guerre, et ne pouvait que désirer qu’elle fût bien conduite, afin que la paix, plus honorable, en devînt plus facile. Peu lui importaient le succès de son opposition et le choix de ses alliés. Quoi qu’il arrivât, il ne pouvait être ni dupe ni complice. La cause libérale n’avait rien à perdre et elle pouvait gagner quelque chose à servir l’ambition de gens qui un seul jour auraient eu besoin de ses défenseurs. Je crois d’ailleurs que, malgré ses efforts d’impartialité, Fox se faisait encore illusion sur la situation de Pitt. Il le jugeait plus affaibli qu’il n’était, et, frappé de ses défauts, qui à la vérité n’avaient jamais autant paru dans tout leur jour, il le croyait destiné à se perdre ou à confesser sa faiblesse, en demandant secours à des rivaux. Cette appréciation était au reste plutôt exagérée que fausse ; Pitt ne se releva qu’à demi, et quand même le temps lui en aurait été laissé, il n’aurait point repris ou conservé longtemps l’autorité incomparable dont il avait joui dans le passé.

Le 23 avril 1804, Fox demanda que la chambre se formât en comité général. Le but de la motion était la révision de tous les bills adoptés pour la défense du pays. L’hostilité de la proposition était manifeste, et Pitt l’appuya en termes méprisans pour le ministère. Il fit une allusion significative à l’utilité de l’union entre tous les hommes pénétrés de la faiblesse du pouvoir et de la gravité des circonstances. La motion, appuyée par Sheridan et Windham, Thomas Grenville et Whitbread, Canning et Burdett, fut rejetée à 204 voix contre 256. Trois jours après, Pitt s’opposa à la lecture d’un bill sur l’armée de réserve, et ne succomba qu’à 203 voix contre 240. Le roi avait repris assez déraison pour s’indigner et proposer à ses ministres de dissoudre la chambre ; mais Addington n’était pas homme à jouer le jeu de Pitt en 1784. Le chancelier lord Eldon fut chargé

  1. Voyez ce que Fox dit de cet événement, Mémoires, t. III, p. 247 et 461.