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portraits de ses domestiques et de ses femmes, le portrait du roi Nussir-u-deen dans toute sorte de costumes et d’attitudes, à table, à cheval, au sortir du bain, en chapeau noir et en frac à l’anglaise, en costume oriental et la couronne sur le front. Seulement il ne faut pas oublier que les scènes de cette série de tableaux d’intérieur à la flamande se passent en Orient, et que par conséquent les détails les plus humbles sont d’une opulence et d’une étrangeté singulières ; les ustensiles de ménage sont d’or, les servantes sont vêtues d’étoffes lamées d’or et d’argent ; pour chats domestiques on a des tigres, et pour animaux familiers des éléphans.

Le royaume d’Oude ou d’Aoude, situé dans l’Inde septentrionale, entre le Punjab, le Népaul et le Delhi, est, ainsi qu’on le sait, placé sous le protectorat de la compagnie des Indes. Jadis province du grand empire mogol, pillé par Warren Hastings au dernier siècle, réduit de moitié par lord Wellington, qui annexa une grande partie de son territoire aux possessions anglaises, il fut constitué sur ses bases actuelles en 1819 par le marquis d’Hastings, qui ajouta à ce qui restait de cette province, jadis florissante, quelques déserts conquis sur le Népaul, et sacra roi, au nom de la puissante compagnie des Indes, le nawab Gazi-u-deen, père du héros de cette histoire. Quoique tous ces faits soient le développement naturel de la conquête et qu’il n’y ait pas à s’en étonner, on peut dire néanmoins, sans courir le risque d’être accusé de sentimentalité philanthropique mal placée, qu’il y a eu rarement quelque chose de plus injuste que les traités qui unissent le royaume d’Oude à la compagnie des Indes. L’indépendance du pays est nominale, et il est inutile d’ajouter que le prix du protectorat anglais est le sacrifice de l’indépendance du roi. La compagnie protège le roi pour se garantir elle-même, c’est-à-dire pour empêcher que le roi ne se serve de son pouvoir contre la domination anglaise. Jusque-là la philanthropie n’a rien à dire à cette politique ; mais ce roi, impuissant pour le bien de ses sujets, est en revanche très puissant pour le mal. Les traités lui garantissent sa couronne et ses possessions contre tout ennemi extérieur et intérieur, c’est-à-dire que si ses peuples, las d’une oppression capricieuse et sanglante, se soulèvent contre lui, la redoutable compagnie appose son veto, et s’engage à lui livrer, pieds et poings liés, ses sujets, pour qu’il continue à les ruiner et à les mutiler. La compagnie lui donne le pouvoir de faire tout le mal qu’il voudra à d’autres qu’elle ; il profite largement de cette permission. Tous les caprices qui peuvent passer par la tête d’un despote oriental, il les satisfait avec sécurité et impunité. Meurtres, mutilations, pillages, extorsions, supplices bizarres, exils ignominieux, emprisonnemens dans des cages de fer, il peut se permettre toutes ces plaisanteries à l’égard de ses sujets ; mais que ces derniers, las de cette crimi-