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traité, qui ôte manifestement à sa politique le caractère de neutralité qu’elle avait conservé jusqu’ici, et qui s’élèvera toujours désormais comme une barrière entre elle et la Russie ? La convention du 21 novembre est un acte de courageuse indépendance qui lie la Suède à l’Occident. De ces divers faits il résulte, ce nous semble, que les événemens marchent chaque jour. Ce qu’on nommait l’alliance du Nord n’existe plus, ou, si elle existe, la ligue du Nord se retourne contre la Russie, qui en était l’âme depuis quarante ans. Si la paix n’est point signée d’ici à peu, avant les premiers jours du printemps la Suède sera sans nul doute la première puissance appelée à participer à la guerre. Le Danemark aussi ne peut manquer d’entrer dans cette voie. L’Autriche elle-même sera bien conduite à céder aux nécessités d’une position qui ne pourra plus rester mixte longtemps. Il y a là une force des choses que la Russie seule peut arrêter aujourd’hui en acceptant sérieusement les conditions de paix qui sont le résumé modéré des dernières volontés de l’Europe. Quand il engagea cette guerre, l’empereur Nicolas commit indubitablement une grande faute ; il a fait courir de grands risques à la Russie. Une des conséquences de cette impatience d’autorité et d’ambition a été la destruction de Sébastopol, c’est-à-dire de la ville qui était le boulevard de la puissance russe dans la Mer-Noire. Nous ne méconnaissons pas ce qu’il y a de difficile dans la situation de l’empereur Alexandre II : le nouveau tsar a reçu un lourd héritage ; mais après la faute commise par son père commettra-t-il à son tour celle de laisser attaquer et brûler Cronstadt, c’est-à-dire le boulevard de la puissance russe dans la Baltique ? Là est la question, l’unique et souveraine question.

Jamais donc les circonstances ne furent plus graves, jamais les difficultés ne furent plus accumulées autour des gouvernemens et des peuples. Voici cependant un homme d’état qui tranche ces difficultés en quelques pages, en démontrant la nécessité d’un congrès pour pacifier l’Europe. Nous ne savons trop jusqu’à quel point il est opportun et habile de dire à la Russie qu’elle ne sera pas plus humiliée de faire des concessions que ne l’a été l’Angleterre de reconnaître l’indépendance de ses colonies, et que ne l’a été la France de souscrire aux traités de 1845. En vérité, dans cette petite brochure qui s’est produite avec une certaine mise en scène, et qui a fait, il nous parait, plus de bruit qu’elle ne mérite, parce qu’on lui a prêté l’autorité d’une origine qu’elle n’a pas, il y a deux choses qu’on peut remarquer : d’abord ce nom d’homme d’état est bien évidemment le pseudonyme de ceux qui ne le sont pas et ne le seront jamais. En outre, ce congres tel que le représente l’auteur n’est point autant qu’il le pense un congrès de souverains ; c’est le congrès de la paix universelle, le congrès d’où doit sortir une paix sans fin, qui va amener une explosion de travaux infinis, de réformes et de bien-être. On peut reconnaître ici la chimère qui semble reparaître aujourd’hui plus que jamais, et qui se déguise sous bien des formes, sous bien des habits. Il faut revenir à la réalité, et la réalité en ce moment, c’est ce mélange de négociations tendant au rétablissement de la paix et de préparatifs belliqueux qui se multiplient partout, en Russie comme en Angleterre et en France. Ainsi finit l’année 1855, et ainsi commence l’année nouvelle. Cette heure qui s’enfuit et qui est si rapide comptera néanmoins dans l’histoire, car elle marquera un point décisif, — celui où le monde se