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s’échappaient avec ses prières, et quoique la jeune fille continuât à édifier le village par une fréquentation encore plus assidue des sacremens, ils entendirent plus d’une fois dans le silence de la nuit sortir de sa bouche des mots étranges ; elle parlait d’armes, de guerre et de voyage en France. Son père, troublé, rêva qu’elle était partie avec un soldat, songe affreux qui mit le vieux Jacques au désespoir, car il aurait, disait-il, noyé de sa main sa fille chérie plutôt que de la laisser consommer son déshonneur[1]. Ce secret, que l’innocente enfant n’osait pas livrer à sa mère, puisqu’il impliquait la cruelle nécessité de s’en séparer, était néanmoins trop accablant pour qu’elle n’en allégeât pas le fardeau par quelques demi-confidences. Il arriva pour Jeanne d’Arc ce qui advient toujours pour les êtres supérieurs à l’humanité. Sa mission fut d’abord reconnue par un cénacle restreint d’initiés. Ce fut la famille Laxart qui reçut les premières semences de la foi destinée à sauver la France. Jeanne annonça à son oncle et à sa tante que les maux du royaume touchaient à leur terme, car, malgré son indignité, les anges et les saints du paradis la visitaient chaque jour pour lui signifier que par sa main les Anglais seraient bientôt chassés du royaume, et qu’elle mènerait le dauphin à Reims pour l’y faire sacrer. Elle avait fait, disait-elle, de vains efforts pour repousser les pensées qui depuis plusieurs années la dévoraient comme une flamme, mais elle n’avait pu soutenir contre Dieu une lutte inégale, et devenue sous sa main comme un roseau pliant, la vierge vaincue répétait du fond de son cœur le grand mot qui précéda la délivrance de l’humanité : Qu’il me soit fait selon votre parole ! On peut inférer des déclarations des membres de la famille Laxart qu’ils furent promptement subjugués par l’ascendant de la jeune fille, et que les prophéties qui avaient alors grand cours en Lorraine, touchant une future libératrice du royaume, furent le motif principal de leur adhésion[2].

De plus en plus malheureuse et agitée, Jeanne avait obtenu de ses vieux parens la permission d’aller passer quelques semaines à Vaucouleurs, dans sa famille maternelle, et ce voyage fut dans sa pensée le premier pas vers le but où l’entraînait une irrésistible puissance. Elle parvint à décider son oncle à s’ouvrir au capitaine qui tenait la place pour le roi, et le bon Laxart alla lui conter le cas de sa nièce, qui, comme on peut le conjecturer par l’enchaînement des faits, commençait déjà à s’ébruiter. Robert de Baudricourt mourut une année avant l’ouverture de la seconde enquête et n’a pu y

  1. Proc. de condamn., t. Ier, p. 132.
  2. Dépositions de Durant-Laxart et de Catherine Le Royer, de Vaucouleurs, Procès de révision, t. II, p. 443. Voyez aussi, sur les longues perplexités de Jeanne et sa soumission définitive aux ordres de Dieu, les interrogatoires de la pucelle, et plus spécialement Sexta Sessio., III martii (Proc. De ondamn., t. Ier).