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de se mettre au piano, de chanter les mélodies de Schubert ou de jouer quelque sonate de Mozart. Elle ne le faisait jamais sans que de grosses larmes lui tombassent des yeux. Les Adieux surtout, qu’elle n’avait plus chantés depuis le départ de Rodolphe, produisaient sur elle une impression profonde. Elle pleurait dès les premières mesures et presque toujours était forcée de s’interrompre avant la fin.

Un soir qu’elle avait beaucoup pleuré, elle alla se réfugier dans le petit berceau où la première fois elle avait reçu Gérard. Il l’y suivit, en proie à un grand trouble. Elle était assise et regardait les étoiles. Le vent faisait pleuvoir sur sa tête les petites fleurs jaunies des jasmins. Des larmes étaient suspendues à ses cils.

— Qu’avez-vous, et pourquoi pleurer ? lui dit-il.

— Je ne sais !… Il y a des jours où j’ai le cœur si gros, qu’il faut qu’il éclate !… répondit-elle.

— Vous manque-t-il quelque chose ? reprit Gérard, que ce grand désespoir navrait un peu plus peut-être qu’il n’aurait voulu.

— Non, mais je suis comme une personne qui attend… quoi ? je l’ignore ; ce que j’attends n’arrive pas, et j’étouffe. Vous n’éprouvez donc jamais cela, vous ?

— Oh ! si ! répliqua Gérard, mais c’est lorsque je ne suis pas heureux. Seriez-vous donc malheureuse ?

— Non. Le bonheur que vous m’avez rendu me suffit, et cependant je me souviens de quelque chose que je ne me rappelle pas… Cela vous paraît étrange, n’est-ce pas ? Peut-être allez-vous me comprendre mieux que je ne me comprends moi-même. Je vous regarde, je vous reconnais, et pourtant il me semble qu’il y a deux Rodolphe, vous et un autre que je ne vois plus.

Gérard ne put s’empêcher de tressaillir à ces mots.

— Oui, reprit Thérèse avec force, vous avez bien les mêmes traits, mais ce n’est pas la même expression… Quand je ferme les yeux, le son de votre voix ne me dit rien ; le son de la sienne me ferait bondir au milieu du sommeil… Il me semble toujours l’entendre… La nuit, elle me tinte dans les oreilles.

D’un mot Gérard aurait pu expliquer tout ce mystère à Thérèse ; mais il lui était justement défendu de dire ce mot-là. Thérèse resta quelques minutes silencieuse, la tête dans ses mains ; Gérard n’osait la tirer de sa rêverie. Il se pencha vers elle tout ému et posa ses lèvres sur ses cheveux.

— Vous êtes bon ! dit-elle en relevant son front candide. Je vois bien que tout ce que je vous dis là vous fait de la peine ; mais ne craignez rien, mon ami, je vous aime de tout mon cœur.

— Moi aussi, je vous aime ! répondit Gérard.