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un trop long exil, ne la dédaignez pas : c’est celle que parlaient les vétérans des légions romaines, nos aïeux et vos maîtres. D’ailleurs nous ne désespérons pas de l’embellir à notre tour, si vous nous prêtez votre aide, non pas seulement comme à des hommes, mais comme à des frères, car vous le savez, la langue est, après Dieu, le plus fort lien entre les peuples. Si deux hommes jetés par hasard au milieu de races ennemies ou seulement étrangères s’aperçoivent qu’ils parlent la même langue, dès le premier mot ils font alliance entre eux, parce qu’ils se reconnaissent pour les membres d’une même famille. Le plus fort prête son appui au plus faible ; il l’arrache à la captivité. Vous et nous sommes entourés de races étrangères dont plusieurs sont ennemies. Vous êtes puissans, nous sommes faibles, quoique nous ne soyons pas à mépriser à cause de notre grand nombre. Reconnaissez-nous et sauvez-nous ! »

Telles sont les premières paroles qui sortent de la bouche de tout habitant de la Roumanie. Quiconque aura entretenu quelque commerce avec eux, celui-là avouera que je n’ai rien changé à leurs discours ordinaires.

Dans le temps où l’esprit français aimait, cherchait, répandait partout la lumière avec la vie, si quelqu’un eût appris à Montesquieu, à Voltaire, à Buffon, et après eux à Lessing, à Herder ce qu’ils paraissent avoir toujours ignoré, qu’une race d’hommes toute latine conserve entre la Mer-Noire et les Carpathes les usages, les traditions, en partie l’idiome de la vieille Italie et revendique ses ancêtres, quel éclat, quelle popularité ces grands hommes eussent répandus sur une découverte de ce genre ! Que de rapprochemens, que de résultats et quelle lumière ils en eussent tirés incontinent ! Je ne doute pas que l’Occident entier n’eût longtemps retenti de cette merveille. Une race d’hommes alliée à la nôtre, perdue et retrouvée, est-ce là un événement qu’ils eussent laissé dans l’ombre ? Je suppose que Montesquieu n’eût pas dédaigné de jeter un regard sur cette dernière parcelle du monde romain. Soit en parlant de la décadence de l’empire, soit en comparant les lois aux climats, il eût donné quelque part une place à la Rome de chaume des Moldo-Valaques. Qui doute que Voltaire se fût attaché à cette antiquité vivante, qu’il en eût fait jaillir tout ce qu’elle renferme de contrastes et d’ironie contre la majesté des choses humaines ? L’Europe aurait eu à répéter d’abord les moqueries du philosophe sur les Cincinnatus, les Régulus des monts Krapaks ; mais cette ironie eût été sans poison, elle eût même servi à populariser une cause encore trop peu connue. Puis le sérieux aurait remplacé le rire, et Voltaire aurait certainement salué le premier une nation renaissante au nom de ce génie romain qu’il a toujours préféré à tous les autres. Du