Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/533

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souviens d’avoir vu une ogive percée sur la façade d’une pauvre maison chinoise ; l’architecte, à coup sûr, ne savait pas le premier mot du genre gothique.

En même temps qu’ils construisaient des églises sur le sol chinois et qu’ils élevaient, en face des pagodes bouddhiques et des temples dédiés à Confucius, les cathédrales du catholicisme dans le Kiang-nan, les jésuites préparaient habilement leurs armes de propagande. Les missionnaires, qui, dans le Nouveau-Monde, se sont voués à la conversion de tribus à demi sauvages, ont pu souvent faire de nombreux prosélytes en s’adressant à l’imagination ; les croyances mystérieuses, la solennité du culte, l’accent d’autorité que donne la foi et les élans du dévouement qu’elle inspire doivent nécessairement agir avec une grande jouissance sur des âmes simples, qui s’ouvrent sans résistance aux enseignemens d’une religion nouvelle ; mais en présence d’une société déjà vieillie, très civilisée, imbue de principes philosophiques, il ne suffit point de parler à l’imagination populaire : il faut recourir au raisonnement et s’emparer des esprits. Les jésuites comprirent que la société chinoise méritait cette attaque en règle ; ils virent que ce peuple de lettrés ne céderait, si jamais il doit céder, qu’à une science supérieure, et qu’il résisterait à toute propagande qui ne s’appuierait point sur un bon système d’éducation et d’instruction. De là les efforts qu’ils tentèrent, surtout à partir de 1850, pour multiplier les écoles à côté des kum-sou. En 1853, ils comptaient dans le Kiang-nan cent quarante-quatre écoles de garçons et trente de filles. De plus, un collège fut établi à Zi-ka-wei et reçut en peu de temps quarante élèves. Dans ce collège, les catholiques ne sont pas seuls admis ; les fils de « quelques honnêtes infidèles » figurent sur les bancs, où l’on enseigne non-seulement les matières qui conviennent au parfait chrétien, mais encore celles qui conviennent à tout bon Chinois. Il y a même parmi les professeurs des « bacheliers infidèles. » En cela, les jésuites ont fait preuve d’un grand tact. S’ils n’avaient voulu donner aux élèves qu’une instruction européenne et chrétienne, les familles chinoises ne leur auraient point confié leurs enfans. Au collège de Zi-ka-wei, comme dans les écoles païennes, on apprend les quatre livres canoniques des Chinois, on commente Confucius et Mencius, on s’exerce aux amplifications et dissertations exigées dans les concours, et on peut se présenter aux examens du district ou de la province pour obtenir les grades littéraires ; « car, dit le père Brouillon, il faut être bachelier, licencié et docteur, ou du moins porter à la cime de son chapeau un bouton de cristal ou de cuivre doré, pour être quelque chose dans le pays, pour s’assurer des droits nobiliaires, lesquels ne sont autres que les privilèges des lettrés, pour s’élever aux emplois, et quand même on n’y parviendrait pas, avoir au moins, grâce