Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/556

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à cette noble race des paysans français qui, placée trop souvent dans les conditions les plus défavorables, porte sans fléchir presque tout le poids de la production agricole comme de la défense nationale.


II.

J’ai essayé de résumer aussi exactement que possible les faits présentés par M. Le Play ; que faut-il en conclure ? Si l’on prenait au pied de la lettre quelques-unes de ses opinions, la réponse serait facile : rien. Il répète en effet à plusieurs reprises que, sans enquêtes nouvelles, la science sociale, comme il l’appelle, ne peut rien affirmer. Il demande ces enquêtes et il a raison, car une observation infatigable peut seule suivre, dans son mouvement continu, le développement des peuples modernes ; mais en même temps, infidèle à son propre principe, il pose dès à présent des conclusions très affirmatives. Je ne le chicanerai pas sur cette inconséquence ; elle était inévitable. Le tort est d’avoir dit qu’il n’y avait rien à tirer des faits connus ; ces faits sont déjà suffisamment nombreux pour donner matière à des doctrines. J’ai de plus sérieuses objections à faire au fond même des conclusions. Ici encore M. Le Play se contredit. Ce qui paraît résulter évidemment de ses monographies, c’est que l’organisation occidentale n’exige aucune réforme radicale dans l’intérêt des classes ouvrières, et il arrive, après bien des détours et des ménagemens, à exprimer l’opinion contraire.

La première des réformes qu’il indique porte sur la loi française de succession ; il s’élève contre le principe du partage égal et réclame ouvertement la liberté illimitée de tester et le droit de substitution. Il établit sous ce rapport une comparaison entre la loi anglaise et la loi française, et attribue à la première la supériorité de l’agriculture anglaise sur la nôtre. J’ai déjà contesté cette théorie souvent répétée, je la conteste encore. La loi de succession n’a pas dans les deux pays la portée qu’on lui suppose. La terre est plus divisée en Angleterre et moins divisée en France qu’on ne croit. La différence réelle ne tient que très peu à la loi de succession ; elle est le résultat d’une foule d’autres causes qui dérivent de l’histoire entière des deux peuples. Telle qu’elle est, elle n’a qu’une action très limitée sur le développement agricole. Il faut chercher une autre explication pour rendre compte de notre infériorité, et par conséquent pour indiquer le véritable remède.

Il est très-facile de soutenir que la loi de succession ne contribue que très-peu en France à la division du sol et même de le prouver mathématiquement. La population ne s’accroît pas vite, la moyenne des familles est tout au plus de deux enfans et demi. Or, comme la moitié seulement de la nation est propriétaire