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arrivera d’après les deux législations. En Angleterre, chacun des deux fils aura tous les immeubles et la moitié des meubles, soit en tout 150,000 fr. ; chacune des deux filles aura la moitié des meubles, ou 50,000 fr. En France, chacun des quatre enfans aura la moitié de la succession totale, ou 100,000 francs, sans distinction de sexe. Supposons maintenant que la fille de l’une épouse le fils de l’autre et réciproquement ; la situation définitive sera la même dans les deux pays. Chacun des deux ménages aura une valeur de 200,000 fr. Je ne dis pas que cette hypothèse soit la seule qu’il soit possible de faire, mais je dis que c’est une de celles qui se réalisent le plus fréquemment, et je n’ai pas supposé que la famille anglaise fût plus nombreuse que la française, ce qui arrive pourtant le plus souvent.

La grande propriété a disparu chez nous, et la petite s’est développée par d’autres causes. La plus récente est la révolution ; ce n’est ni la première, ni la plus puissante. La petite propriété ne date pas en France de 1789. Arthur Young, qui a visité la France alors, dit formellement que les petits propriétaires possédaient un tiers du sol ; c’était une exagération sans doute, car ils n’en possèdent pas davantage aujourd’hui. Comment s’était formée sous l’ancien régime cette multitude de petits propriétaires ? Premièrement, par le gaspillage des seigneurs qui aimaient mieux vendre en lambeaux les terres paternelles et en dépenser le prix à la guerre ou à la cour que faire fructifier leurs domaines en y résidant ; secondement, par l’intervention de l’autorité royale, qui avait attribué à plusieurs reprises, au moyen d’ordonnances et d’arrêts du conseil, une partie des terres incultes aux paysans cultivateurs. Même de nos jours, la petite propriété s’augmente beaucoup plus par des ventes parcellaires que par l’effet de la loi de succession. M. Le Play a même remarqué, et c’est là un de ses aperçus les plus vrais, que le partage égal est surtout nuisible à la petite propriété, en ce qu’il entraîne des morcellemens excessifs, des frais démesurés, des dettes usuraires, des liquidations onéreuses, qui finissent par faire disparaître la propriété elle-même.

En Angleterre, la grande propriété, fondée par la conquête au XIe siècle, s’est accrue au XVIe par le partage des biens ecclésiastiques, et plus tard par l’attribution des terres incultes aux seigneurs ; elle s’est maintenue par l’attachement héréditaire des propriétaires au sol. Tout a tendu à réunir la propriété à la seigneurie, tandis qu’en France tout a tendu à les séparer. Il y avait autrefois en Angleterre beaucoup de petits propriétaires ou yeomen. D’après Macaulay, on en comptait sous les Stuarts 160,000, ayant en moyenne 60 liv. sterl. ou 1,500 fr. de revenu. Ils ont disparu depuis à peu près complètement ; la plupart ont peu à peu vendu leurs