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sanctuaires. Les palais sont rares dans notre pays, et l’état seul pourrait encourager un luxe aussi délicat. Les églises au contraire, avec leurs nombreuses chapelles, leur décoration, leurs vitraux, offriront un cadre favorable à la sculpture coloriée dès le jour où les sculpteurs voudront la relever jusqu’à eux. L’industrie a des procédés pour appliquer l’or avec économie sur les matières les plus viles, et les teintes qu’elle obtient ne sont pas moins variées que les alliages des anciens. L’ivoire n’effraie point par son prix, surtout quand les statues ne sont point colossales et quand la chasteté chrétienne réduit le nu à sa juste vraisemblance. Pour les églises moins riches, il reste le marbre, la pierre, le stuc, car Phidias et Polyclète n’ont dédaigné ni le bois doré, ni le marbre, dont les tons crus étaient, je le suppose, adoucis ou déguisés par la couleur ; d’autres sculpteurs consentaient même à recourir au plâtre.

Ni le but ni les moyens ne font donc défaut à cette renaissance désirable : les moyens n’ont rien que de pratique, le but rien que d’élevé, puisque la religion le consacre ; mais les hommes ont fait défaut. L’or et l’ivoire attendent que des artistes intelligens autant qu’habiles consentent à rechercher les principes oubliés, à créer une tradition, qu’ils se résignent à des tentatives infructueuses jusqu’à ce qu’ils rencontrent les idéales conventions sans lesquelles il n’y a point d’art, car la convention peut seule conjurer les dangers que présente l’union de la forme et de la couleur ; seule, elle peut tourner ces dangers en beautés éclatantes. Ce vœu sera-t-il réalisé ? Je l’ignore, quoique j’aie contemplé avec un vif intérêt la Vierge peinte exposée par M. Froget, et surtout la Canéphore de M. Wolff. N’est-ce point le vœu d’un barbare ? Alors je cours risque d’être un barbare à la suite des Grecs. On dit qu’il faut être de son temps, et j’en suis. Assurément ils cèdent au plaisir de contredire, ceux qui nient le principe de la forme abstraite et appellent pauvreté l’indépendance si logique à laquelle la sculpture est arrivée depuis le XVe siècle ; mais les deux systèmes ne peuvent-ils exister simultanément ? Nos sens condamnent-ils notre goût à une tyrannie aussi exclusive ? Dédaignons-nous les couleurs plates de la peinture à fresque depuis que nous connaissons les modelés incomparables de la peinture à l’huile ? Au milieu des incertitudes que l’expérience peut seule résoudre, je ressens du moins cette confiance que les essais les plus malheureux ne sauraient altérer : ce que l’antiquité tout entière a admiré ne pouvait manquer d’être admirable, et si nos sculpteurs échouent là où les sculpteurs anciens ont produit leurs plus splendides chefs-d’œuvre, ce ne sont pas les Grecs qu’il convient de justifier, ce sont les modernes qu’il faut plaindre.


BEULE.