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nement sur une question qu’on ne supposait pas avoir été dans ces derniers temps aussi sérieusement discutée entre les cabinets de Washington et de Londres, celle de l’interprétation du traité Clayton-Bulwer relativement à l’Amérique centrale. Quant à la question du recrutement, on ne l’a pas abordée avec la même précipitation, et on s’est donné le temps de la réflexion. Sur celle-là, en effet, le message le prend d’assez haut, puisqu’il parle de réparation, et il serait plus dangereux de s’engager, les susceptibilités nationales étant en jeu des deux côtés. Nous persistons d’ailleurs à penser que l’un et l’autre différend se termineront à l’amiable. Ni l’Angleterre ni les États-Unis ne veulent en venir à une rupture, encore moins à des hostilités ; aucun grand mouvement national n’y pousse ; aucun grand intérêt ne le commande ; tout en dissuade au contraire, et dans une pareille situation la diplomatie a bien des ressources pour sauver les amours-propres. Elle trouvera une formule, un biais quelconque pour satisfaire les uns sans que cela coûte trop aux autres, et ce sera une leçon de plus dans ce cours d’histoire du droit des gens qui se fait sous nos yeux, tantôt par la plume, tantôt par l’épée.

L’interprétation du traité Clayton-Bulwer n’est pas de nature à entraîner des difficultés beaucoup plus sérieuses. Déjà le porte-voix très impérieux de l’opinion en Angleterre, le journal le Times, a déclaré que le protectorat plus théorique qu’effectif du prétendu royaume des Mosquitos ne valait pas le papier qu’on avait échangé avec le cabinet de Washington pour en réserver le principe, et qu’il serait sage de donner aux États-Unis la satisfaction qu’ils réclament sur un intérêt si problématique. Or, si ce n’est pas absolument toute la question, c’en est du moins la plus grande partie et la plus essentielle. Le gouvernement fédéral reconnaissant que le traité de 1850 n’a pas porté atteinte aux droits exercés par l’Angleterre à Belize, il ne resterait donc à discuter que la possession de Roatan et d’une ou deux petites îles sur la côte de Honduras, où le pavillon britannique a été planté, il faut l’avouer, sans trop de cérémonie ; mais en supposant que l’Angleterre tienne beaucoup à l’y laisser, par cela même que ce sont des points bien définis et naturellement circonscrits par la mer, il n’est pas à présumer que le maintien du statu quo, en ce qui les concerne, puisse jamais devenir une affaire bien grave. Nous croyons donc qu’on en viendra sans trop de peine à un arrangement, et sur la question de l’Amérique centrale, et sur celle du recrutement, malgré le caractère assez menaçant des dernières nouvelles qu’on ait reçues des États-Unis, et qui annonçaient que l’administration de M. Pierce insistait sur le rappel de M. Crampton. Ni le congrès ni le pays ne suivraient le président dans une pareille voie, et il est bon de faire observer qu’au moment où le cabinet de Washington aurait pris cette attitude, il ignorait encore les chances d’une paix prochaine en Europe. Ce serait d’ailleurs l’occasion, si l’Angleterre cédait sur le traité Clayton-Bulwer, de demander aux États-Unis quelques garanties de plus pour l’indépendance et l’intégrité des républiques de l’Amérique centrale, d’où ils mettent tant de prix à éloigner l’ombre d’une influence européenne. Que Grey-Town, si malheureusement détaché du Nicaragua en 1847, pour être revendiqué en faveur du royaume des Mosquitos et pour être abandonné ensuite au hasard, retourne à l’état dont il est une dépendance naturelle ; que cet état