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en sachant fort bien qu’ils ne pourraient les rejoindre et sans en éprouver grands regrets. Malgré sa répugnance à laisser Hamid seul, ne fût-ce que pour peu d’instans, Emina se détermina à se mettre à la recherche de ses compagnes et des enfans du bey. Un second éclat de bois fut allumé, et après d’assez longues recherches, Emina put enfin découvrir dans un des coins les plus obscurs du harem la famille d’Hamid.

Ansha, la grand’mère, l'Abassa et les enfans étaient serrés les uns contre les autres dans l’attitude du plus violent effroi. — Dieu soit loué ! te voilà sauvée, mon enfant ! — s’écria la vieille dame en reconnaissant Emina, et, en dépit du geste impérieux et effrayé d’Ansha, elle continua : — Et Hamid, qu’est-il devenu ? Aucun malheur, je l’espère…

— Un bien grand l’a frappé, ma mère, répondit Emina d’une voix mal assurée ; il est blessé, la blessure est grave, à ce que je crains, et je venais réclamer du secours…

— Mon Dieu, mon Dieu ! épargnez mon enfant ! s’écria la pauvre mère en sanglotant ; qu’il ne meure pas comme son père et son grand-père et ses deux frères sont morts, et que je ne voie pas s’éteindre dans le sang le dernier de ma race !…

— Ne parlez pas si haut, madame, interrompit Ansha avec aigreur ; mais, ayant rencontré le regard d’Emina fixé sur elle avec étonnement, elle se ravisa aussitôt en prenant sur son cœur ses deux plus jeunes enfans. — Ce que vous éprouvez pour Hamid, je l’éprouve, moi, pour ces enfans qui sont les siens, et, quoi qu’il puisse m’en coûter, c’est à leur salut que je me dévoue avant tout.

— Vous n’avez plus rien à craindre ni pour eux ni pour vous, Ansha, dit Emina avec douceur. Les brigands sont loin d’ici à cette heure. — Puis, prenant sous son bras la vieille mère, qui s’était levée pendant cet entretien, elle se dirigea vers la chambre d’Hamid. Ansha les suivit. Hamid gisait toujours sur sa couche, sans mouvement et sans connaissance. En vain sa pauvre mère l’appela des noms les plus tendres, en vain les sanglots d’Ansha firent résonner les voûtes du harem, en vain les larmes plus sincères de ses enfans baignèrent ses pieds et ses mains. À la vue de ces témoignages d’une affliction plus ou moins vraie, Emina sentit redoubler sa douleur ; mais, faisant un dernier effort sur elle-même, elle se disposa à administrer au blessé la potion qui pouvait le rappeler à la vie. Elle tira d’une armoire sa boîte à médicamens, choisit une petite fiole contenant une liqueur rougeâtre, et en ayant versé quelques gouttes dans de l’eau-de-vie, elle en baigna les lèvres et les tempes d’Hamid. Cette première tentative ne réussissant pas, Ansha proposait déjà de défaire les bandages qui, selon elle, gênaient la cir-