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et aussi vives qu’elles l’étaient avant 1812, et qu’après avoir rebroussé à cette époque vers la Russie, sous une pression du moment, l’opinion publique en Suède a repris de notre temps son cours naturel, mille nouveaux indices nous ôteraient toute incertitude. Voici par exemple une publication suédoise, essentiellement populaire, qui se répand à bon marché, dont le titre est une menace, et qui n’est tout entière elle-même qu’un cri de guerre. C’est un petit volume de cent cinquante pages, dont la couverture montre un bouclier, des glaives et un vigoureux Suédois terrassant une poignée de Moscovites, avec cette légende : « Non pas un contre sept, ce serait peu ; un contre vingt ! « et cette autre, tirée d’une belle poésie de Tegner en l’honneur de Charles XII : « Hors du chemin, Moscovites ! Ur vægen, Moscovist er ! » L’éditeur n’a fait que réunir les témoignages les plus connus de la haine qui a toujours divisé Suédois et Russes, chants nationaux, récits populaires, poésies patriotiques. Rangées selon la suite des temps, ces voix, qui respirent souvent la colère et la vengeance, ne laissent pas de produire une vive impression et donnent bien à ce petit livre le caractère national et populaire qu’il cherchait. Du xive siècle à l’an 1835, voilà quelles ont été les antipathies d’une nation tout entière contre la Russie voisine : est-il possible que les vrais intérêts d’un peuple ne soient pas d’accord avec ses sentimens, si longtemps et si uniformément exprimés ?

Un des premiers récits contenus dans le volume suédois met en scène le défenseur de Wiborg, le célèbre Knut Posse. En l’an de grâce 1395, Knut Posse (un des grands noms de la noblesse suédoise) passait aux yeux de ses compatriotes, à Stockholm, pour un redoutable sorcier, parce que, pendant un long séjour dans les pays étrangers, et surtout à Paris, il avait appris beaucoup des secrets de la nature. Tout à coup la nouvelle se répand que la province (alors suédoise) de Finlande est envahie par ses farouches voisins les Russes. On ne parle qu’avec horreur des excès commis par ces hordes asiatiques : ils rôtissent leurs prisonniers à petit feu, arrachent le sein des femmes avec des tenailles, et se montrent enfin ce que peuvent être des païens sans foi ni loi. Le jeune Svante Sture Nilsson les a bien poursuivis une fois, mais c’est à peine s’il a pu les atteindre ; ils ont disparu devant lui, se sont dispersés dans leurs déserts, puis, revenant en hordes innombrables, ont inondé la Finlande comme des nuées de sauterelles. Sténon Sture, l’administrateur du royaume, se prépare donc à aller les combattre lui-même. Il écrit d’abord à l’archevêque et au chapitre d’Upsal pour obtenir la bannière de saint Éric et la protection divine contre les ennemis de la foi, et puis il s’embarque. Pendant ce temps-là, Knut Posse, qui n’avait pas attendu si tard pour passer en Finlande, combattait les Russes comme on combat les bêtes sauvages, et se faisait si bien redouter par eux, qu’ils fuyaient tous quand ils l’apercevaient de loin. Toutefois son armée s’épuise, et il ne lui arrive de Suède aucun renfort, tandis que les Russes amènent chaque mois des hordes nouvelles. Il ne lui reste bientôt plus de ses braves compagnons d’armes que deux cents hommes, quand l’ennemi en compte des milliers. Il se retire donc dans les murs de Wiborg, non loin de l’emplacement où s’élèvera plus tard Saint-Pétersbourg, et il s’y défend énergiquement, de la Saint-Martin à la Saint-André, en attendant l’arrivée de Sténon Sture et de son armée. Les Russes font bien quelquefois des brèches