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tout autre aux envahissemens des dépôts limoneux, dont il serait d’ailleurs assez singulier de faire un sujet d’alarme et de reproche. L’eau douce est la condition du canal, et il n’y a pas en Égypte d’eau douce sans limon. Ce n’est qu’une affaire d’entretien, et croit-on qu’il fût meilleur marché d’entretenir le port de Tineh perpétuellement ensablé, ou un canal à point de partage alimenté par des machines à vapeur ? En un mot, la traversée des branches du Nil sera une œuvre assez coûteuse peut-être, mais ordinaire au point de vue de la difficulté et certaine au point de vue de la réussite ; œuvre simple auprès des problèmes d’art et des risques d’insuccès des deux autres projets.

Puisque les ouvrages d’art du projet nouveau sont moindres qu’ailleurs, la durée de l’exécution, malgré la multiplicité des travaux accessoires, est sujette à moins de chances de retard. Six ans peuvent suffire pour l’achèvement du canal de Suez à Peluse, mais non pour Tineh, œuvre majeure par l’étendue des constructions et grosse de complications imprévues, qui ne se terminera pas avant douze ou quinze ans. Cependant, à défaut de ces travaux périlleux, dont le temps est l’élément obligé, le projet, ainsi qu’on le prévoit, a des terrassemens considérables. D’après nos évaluations, d’ailleurs très largement faites, il y aurait à remuer, tant pour le canal des deux mers que pour les travaux accessoires, environ 180 millions de mètres cubes, sur lesquels 160 millions devraient être exécutés avant l’ouverture du canal à la navigation ; le reste pourrait être fait plus tard. Or, si ces 160 millions de mètres cubes devaient être exécutés à bras d’homme en six ans, il faudrait en faire 26 millions par an, c’est-à-dire employer constamment plus de 45,000 travailleurs. Ce chiffre énorme en dit assez. Embarras de réunir une telle armée d’ouvriers, maladies provenant de chacune des agglomérations entre lesquelles cette masse se diviserait, désorganisation fréquente des ateliers, perturbations et mécomptes, toutes ces causes ne permettraient pas d’achever le travail avant vingt ans peut-être, et le canal des deux mers aurait décimé la population d’Égypte. Ce n’est pas ainsi que l’industrie européenne doit procéder ; elle peut faire autrement. Le sol du Delta nous paraît d’une nature particulièrement favorable à l’emploi des excavateurs américains dans presque toutes les parties non submergées, et notre tracé à travers les lacs appelle l’emploi de fortes dragues servies par de petits bateaux à vapeur appropriés à la navigation de ces lacs. C’est donc surtout avec des dragues, des machines à terrassement et tous les engins mécaniques qui peuvent économiser des bras que nous voudrions procéder, en réduisant à 15 ou 18,000 le nombre des terrassiers à employer. Ces 15 ou 18 000 hommes feraient en six ans de 50 à 60 millions de mètres cubes ; le reste serait facilement exécuté dans le même temps à l’aide des machines, dont