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pure race aryenne se laissèrent aller, avec le temps, à toute sorte d’extravagances et d’iniquités. L’Inde, à peine conquise et couverte encore de forêts épaisses, recelait un grand nombre de tribus indigènes dont la barbarie ne laissait pas d’exercer une certaine influence sur les Aryens eux-mêmes. Parmi les rois de l’époque la plus reculée, il y en eut qui, méprisant les brahmanes et les dogmes védiques, refusèrent de sacrifier, prétendant substituer le culte de leur personne à celui des dieux. D’autres, entraînés par la passion de la chasse, abandonnèrent le soin des affaires pour vivre dans les bois, et passèrent des années à poursuivre les bêtes fauves, à la manière des barbares dont ils prenaient les habitudes et les mœurs. Enfin, s’il faut en croire les légendes, on vit des princes hindous, devenus tout à fait sauvages, se livrer au cannibalisme. Alors les brahmanes s’émurent ; leurs malédictions atteignirent ces rois insensés, traîtres aux traditions de leur pays. La colère des peuples se déchaîna contre des tyrans qui menaçaient de détruire la civilisation aryenne, et ils furent tués avec leurs familles.

Plus les rois se plongeaient dans l’ignorance, plus les brahmanes exaltaient l’importance de la tradition écrite ; plus les rois se montraient indépendans, plus les brahmanes s’étudiaient à compléter le code de leurs lois, et l’autorité suprême passait de plus en plus du côté de la caste qui représentait le génie civilisateur et aussi l’esprit rêveur et poétique de la nation. Ce fut l’ère des législateurs, et ceux des habitans de l’Inde qui, portant aujourd’hui le titre de brahmanes, peuvent faire remonter leur généalogie jusqu’à ces sages des temps anciens ont quelque droit d’être fiers de leur noblesse, car cette époque correspond à peu près au xiiie et au xiie siècle avant Jésus-Christ.

Indépendamment des rois maudits pour leurs crimes et changés en bêtes, dont on retrouve la mention dans les vieilles légendes, il y en eut qui, sans s’élever contre le dogme, sans proscrire le culte, luttèrent hardiment contre l’autorité des brahmanes. Il s’en trouva aussi qui firent renaître sur la terré l’âge d’or si longtemps regretté, et on vit le rare spectacle des deux castes rivales oubliant leurs querelles pour vivre dans une paix parfaite. À travers ces luttes et ces réconciliations du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel, on entrevoit aussi les discussions religieuses provoquant des scissions au sein de la caste brahmanique et les sectaires cherchant à entraîner les rois dans leur parti. Voici, à peu près et autant qu’on en peut juger à une si grande distance, comment s’altéra l’unité de doctrine chez ceux-là même qui en conservaient le dépôt.

Les premiers théologiens hindous avaient admis un Dieu unique,