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pool, en 1827. Il fut ainsi, pendant dix-sept ans et dès ses premiers pas dans la vie publique, le constant défenseur et le membre actif du gouvernement.

Les douze premières années de cette époque jusqu’au suicide de lord Castlereagh, marquis de Londonderry, en 1822, furent le règne le plus complet du parti tory, de tories bien plus rigides que ne l’avait jamais été M. Pitt, leur maître. Des esprits superficiels s’en sont étonnés. La paix et les gouvernemens pacifiques étaient rétablis en Europe ; les périls extérieurs ou intérieurs dont l’Angleterre s’était vue menacée n’existaient plus ; les causes qui l’avaient portée à tendre fortement les ressorts du pouvoir s’étaient évanouies ou grandement atténuées ; il semble que le pouvoir eût dû se relâcher ; mais les effets survivent longtemps aux causes. Si le régime tory ne paraissait plus au même point indispensable, le parti tory n’en était pas moins le parti victorieux et dominant, partout en possession de la prépondérance et puissamment organisé pour la conserver. C’est le parti naturel du gouvernement ; le pouvoir va, par sa propre pente, aux hommes qui l’aiment et le soutiennent avec le plus d’ardeur. L’Angleterre d’ailleurs demeurait intimement unie aux monarchies absolues du continent ; ses conseillers avaient contracté avec les leurs, dans les rudes épreuves de la coalition, ces liens de pensées, d’intérêts et d’habitudes que créent des combats et des succès communs ; sa politique extérieure pesait sur sa politique intérieure, et lord Castlereagh était plus enclin à s’assimiler au prince de Metternich qu’à s’en distinguer. Pour le malheur de l’esprit de liberté renaissant, l’esprit révolutionnaire renaissait aussi, répandant son venin dans les institutions comme dans les âmes, et tenant partout les gouvernemens sur le qui-vive. Pendant ces douze années de paix, l’Angleterre vit chez elle le pouvoir plus inquiet, plus immobile, plus inaccessible à toute réforme et à toute innovation libérale, qu’il ne l’avait été au cœur de la guerre, pendant ses plus grands efforts et ses plus grands dangers.

Robert Peel s’associa sans hésitation à cette politique, et partout, dans l’administration de l’Irlande comme dans les débats du parlement, il la soutint avec une conviction sincère, mais comme on soutient l’ordre établi, la loi du pays, la nécessité actuelle, plutôt que par attachement à des principes systématiques et fixes. La discussion publique, ardente et sans cesse renouvelée, entraîne les hommes, soit du gouvernement, soit de l’opposition, au-delà de leur sentiment réel ; les paroles dépassent non-seulement les intentions, mais les actes mêmes, et les spectateurs, trompés par ces apparences, ne font plus entre les acteurs aucune distinction ; ils attribuent à tous ceux qui servent sous le même drapeau les mêmes idées, les mêmes pas-