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une position analogue à celle qu’occupe la Banque de France par rapport au crédit commercial, nous ne pouvons négliger, même à l’état hypothétique, une question aussi grave que celle-ci : serait-il utile et sage de laisser passer aux mains d’un établissement unique et privilégié la dispensation et le gouvernement du crédit commanditaire ?

Nous ne le pensons point, et, en nous plaçant au point de vue purement économique, nous signalerons trois sortes de dangers qui nous paraissent attachés à la prépondérance excessive d’une société anonyme sur le crédit commanditaire. En premier lieu, une banque privilégiée placée dans ces conditions est exposée à abuser des ressources du crédit commanditaire au détriment du crédit commercial ; secondement, cette banque étant, comme le Crédit mobilier, tenue par ses statuts de ne commanditer que des sociétés anonymes, pourrait être entraînée à faire des applications exagérées de cette forme de société, et à dénaturer, par la création de monopoles irresponsables analogues au sien, l’industrie et le commerce, dont l’activité la plus saine doit reposer sur les principes de la liberté et de la responsabilité ; enfin l’égalité devant le crédit commanditaire est impossible avec le monopole, elle ne peut exister que sous le régime de la concurrence.


Un établissement comme le Crédit mobilier est exposé, disons-nous, à abuser des ressources du crédit commanditaire au détriment du crédit commercial. Par sa nature en effet, un tel établissement est porté à rechercher, à susciter, à multiplier les entreprises qui ont besoin de la commandite. Afin de répondre à son objet et de faire des bénéfices, il faut qu’il place ses fonds dans beaucoup d’affaires, et qu’il les en retire le plus promptement possible pour les placer dans des affaires nouvelles ; c’est ce que M. Isaac Pereire exprimait ainsi dans le passage de son rapport que nous avons déjà cité : « Le soin que la société aura de ne s’engager dans chacune des affaires qu’avec une sage réserve, dans des proportions et pour un temps limités, lui permettra de multiplier son action, de féconder en peu de temps un grand nombre d’entreprises, et de diminuer les risques de son concours par la multiplicité des commandites partielles. » Multiplier les entreprises afin de diviser et de diminuer ses risques et de recouvrer le plus souvent et le plus promptement possible la disponibilité de ses fonds, voilà la mécanique obligée d’une société commanditaire comme le Crédit mobilier ; mais pour qu’elle puisse recouvrer souvent la disponibilité de ses fonds et multiplier ses affaires, il faut qu’elle parvienne à attirer dans les affaires qu’elle crée, et d’où elle veut retirer ses fonds, les capitaux qui sont disponibles dans le pays. La société