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irrité contre elle. Que de fautes il lui passait, dont il m’eût sévèrement reprise ! Mais il ne voulait pas la décourager. Ainsi se manifesta le changement. S’en doutaient-ils alors ? Pas plus que je ne m’en doutais, à coup sûr. Marian, au bout de six semaines, insista pour avoir ses vacances, et comme en définitive on faisait toujours ce que voulait Marian, on partit pour le manoir rustique de la tante Thomasine. Débarrassée de son professeur, la blonde écolière semblait aux anges. Je comptais bien, moi, sur quelque visite de M. Langley. La première fois qu’on le vit paraître au bas de la prairie qui s’étendait devant la maison : — Ah ! voici le savant !… cachez-moi !… cachez-moi vite !… s’écria Marian avec une consternation affectée, et elle cherchait où se blottir. M. Langley arriva, sérieux et distrait, comme d’ordinaire. Marian lui jeta un coup d’œil effaré, puis, après les premiers complimens, la voilà tranquille et muette. L’instant d’après, la scène change. Marian devient agressive, elle raille, elle agace, elle s’étonne qu’on ait le temps de venir nous voir quand on a tant d’occupations ; elle demande si le jardin de la tante Thomasine offre quelque curieux phénomène de formation géologique digne de l’attention des érudits. Le front de M. Langley se rembrunit par degrés. Il se penche vers la petite moqueuse ; il lui adresse à demi-voix quelques paroles qui lui font redresser la tête et amènent un sourire sur ses lèvres. Elle veut répliquer, elle s’arrête aux premiers mots. Il reprend la parole, mais toujours trop bas pour que je puisse entendre ce qu’il lui dit. Je me lève et je sors tranquillement du salon. Dix minutes après, je vois M. Langley quitter la maison et descendre à grands pas la prairie. Il est agité, il se parle en marchant. À peine est-il hors de vue, que Marian bondit vers moi, — Bon Dieu, Grisell, que je vous envie peu votre amoureux !… Il est fou, ce tourtereau-là. Je l’ai mis dans une colère ! — Mais comment, à quelle occasion, voilà ce que je ne puis savoir. Insisterai-je ? Non, je ne dois pas me constituer l’espion de ma sœur ? Ce rôle serait-il digne de moi, digne de M. Langley ? Il m’a dit qu’il m’aimait, il m’a demandé d’être sa femme. Il a fait dépendre du parti que je prendrais son bonheur et son malheur à venir ! Faut-il donc me méfier de sa sincérité ? À ces questions que je me faisais, la réponse était toujours la même : — Oui, me disait mon cœur, mais il ne connaissait pas alors Rayon de Soleil !

L’inquiétude finit par me gagner. Je ne puis rester en place. Avec ma sœur, je ne suis plus à mon aise. Un embarras mutuel succède à nos épanchemens d’autrefois. Jamais plus entre nous une seule allusion au mariage projeté pour moi. Les leçons d’italien reprennent et deviennent de plus en plus longues. Ils sont heureux d’être ensemble.