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car les princesses rentrèrent dans leurs chambres sans prononcer une parole.

Une nouvelle entrevue, qui eut lieu le soir, eut pour résultat l’envoi au prince David d’une lettre des deux captives, qui devait accompagner une autre lettre où Chamyl formulait ses conditions. En échange des princesses et des cent vingt captifs ramenés de Kakhétie, il exigeait la restitution de son fils, Djemmal-Eddin, de cent seize musulmans prisonniers, de plusieurs chefs tchetchens, et un million de roubles en argent. Le prince David, en recevant les lettres apportées par Mohammet, déclara que de telles conditions lui semblaient inadmissibles. Il exprima cet avis dans une réponse que Mohammet dut porter à Chamyl, et se hâta néanmoins de transmettre les propositions de l’iman au gouvernement russe.

Après le départ de Mohammet, une nouvelle série d’épreuves commença pour les captives. Les persécutions exercées contre elles par Zaïdete se continuèrent, et Chouanète ayant eu un accouchement laborieux, la permission de se promener sur la galerie leur fut retirée, car on supposait qu’elles portaient sur elles des objets mal faisans. Zaïdète, en les retenant ainsi dans leurs cellules, voulait surtout les soustraire aux regards de Chamyl, qui était forcé de traverser la galerie pour se rendre chez sa femme malade. L’arrivée de Kazi-Machmet, le second fils de Chamyl, provoqua la réunion d’un conseil où le sort des prisonnières fut agité. Le retour de ce jeune chef fut aussi l’occasion d’une grande fête. Les princesses n’avaient fait qu’entrevoir Kazi-Machmet à la tour de Pokhalski ; elles virent son entrée triomphale, et arrêtèrent sur le jeune fils du prophète des regards attentifs. Kazi-Machmet, qui pouvait avoir vingt et un ans environ, a des traits durs, mais une taille svelte et bien prise. En parlant, il gesticule beaucoup, comme tous les Mingréliens, et ses gestes ne manquent pas d’élégance. Après avoir rendu visite à son aïeul et à Chouanète, il se dirigea vers la chambre de son père, et en sortit avec lui pour aller prier dans la mosquée[1]. À peine s’étaient-ils éloignés, que les montagnards chantèrent en chœur un verset du Khoran : Lia-illiah-il Allah, — seul chant qu’il soit permis aux murides d’entonner.

Dans le conseil qu’on réunit peu de jours après l’arrivée de Kazi-Machmet, figurèrent plusieurs naïbs et le sultan Daniel. Ce conseil, malgré les observations présentées par Daniel en faveur des captives, n’eut pour elles aucun résultat bien significatif. L’envoyé du prince David, étant revenu à cette époque pour remettre à Chamyl la réponse qu’il devait lui donner, dut retourner près de son maître en

  1. Chamyl se rend toujours à la mosquée accompagné d’un brillant cortège. Le prophète se coiffe alors d’un turban blanc, et il porte un costume bleu ou vert. Les murides forment la haie sur son passage.