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devient la pensée de Platon ? Qu’elle parle par la bouche d’une ombre ou par la bouche d’un personnage humain, ses devoirs ne changent pas. Pour atteindre à la splendeur, il ne faut pas négliger la clarté. Or la vision du cap Rozel n’est claire pour personne, et si j’ai tenté de l’expliquer, c’est après avoir déclaré que je n’espérais pas en dissiper toutes les ténèbres.

M. Victor Hugo, sans doute pour donner plus de variété à son nouveau recueil, a semé çà et la quelques souvenirs de jeunesse qui ne s’accordent guère avec le ton général des Contemplations, et dont le caractère égrillard étonne tous ceux qui ont suivi le développement de sa pensée depuis trente-quatre ans. Il y a dans les Confessions de Jean-Jacques Rousseau un épisode charmant que personne n’a oublié, que Camille Roqueplan a retracé dans un tableau plein de grâce, l’épisode des cerises cueillies par les demoiselles Graffenried. Dans ce récit, le mélange de la gaucherie et de la sensualité marque très bien l’âge et la nature de l’auteur. M. Victor Hugo a raconté une aventure du même genre ; mais quelle différence dans les deux narrations ! Comme le fils de l’horloger de Genève, il reçoit les cerises cueillies par une jeune fille, et, au lieu de s’en tenir au tableau de la réalité, il invoque Virgile, et semble regretter que l’auteur des Géorgiques ne lui ait pas transmis ses pinceaux par héritage. Dans un pareil récit, le nom de Virgile produit l’effet d’une note fausse. Le nom qui se présente naturellement, c’est celui de Parny ou de Bertin, et le plus sage était, je crois, de n’invoquer personne. Le nom de Virgile effacé, nous aurions une peinture qui ne serait pas sans attrait, mais qui ferait encore tache dans le nouveau livre de M. Victor Hugo. Certains souvenirs, qui semblent naturellement amenés sur les lèvres d’un homme encore jeune, excitent la surprise lorsqu’ils sont retracés par un homme arrivé à la maturité. Or il n’y a pas un lecteur qui ne sache l’âge de l’auteur, et la cueillette des cerises aurait eu meilleure grâce, racontée par lui vingt ans plus tôt. Ce n’est pas ici une question de pruderie, mais une question d’opportunité.

La pièce adressée à André Chénier, amusante pour ceux qui aiment l’esprit et n’attachent pas grande importance à la raison, étonnerait peut-être l’auteur de la Jeune Captive, Les conseils donnés au poète de notre temps par « un bouvreuil qui faisait le feuilleton du bois » ne sont pas précisément d’accord avec les doctrines et les œuvres que M. Victor Hugo appelle en témoignage. André Chénier n’avait jamais rêvé l’alliance de Rabelais et de Dante. S’il est parfois utile, souvent nécessaire, de passer du ton grave au ton familier, la Divine Comédie et Pantagruel ne pourront jamais inspirer une composition harmonieuse. Dante et Rabelais n’appartiennent pas à la même famille,