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« Le matin du 29 mai, toute l’armée ennemie tomba sur nous. O âmes courageuses, âmes antiques qui, à ce soleil du 29 mai, vîtes tomber l’orgueil de Barberousse, venez voir célébrer dignement l’anniversaire de Legnano[1] ! « Vers les neuf heures, nous fûmes appelés aux armes. Il faisait un temps magnifique. Nous attendions depuis une heure le premier coup de canon, lorsque le colonel Campia, commandant des milices de Curtatone, me demande si notre compagnie oserait aller à la découverte de l’ennemi. Malenchini prend avec lui dix ou douze hommes et sort de la tranchée. Moins de dix minutes après commençait la fusillade. D’Arco Ferrari, notre général, n’avait pas voulu raser la campagne, par égard pour les propriétaires, en sorte que les tirailleurs ennemis venaient jusque sous les parapets, à la faveur des blés qui les cachaient. Bientôt aussi le combat s’engagea à Montanara. Laugier, qui remplaçait d’Arco Ferrari, avait résolu de tenir bon jusqu’à ce que les secours piémontais que lui annonçaient des dépêches répétées fussent arrivés. Au milieu du bruit des mousquets et des canons, il sort à cheval de nos retranchemens, et son exemple est pour nous une exhortation au courage. Partout sur son passage on ne voyait que képis agités à la pointe des baïonnettes, on n’entendait que crier vive l’Italie ! Parvenu à Montanara, il demande à Giovanetti, qui commandait de ce côté-là, pourquoi il fait combattre ses tirailleurs à découvert. Giovanetti répond en souriant : Les Italiens doivent montrer la poitrine à l’ennemi !

« Plusieurs fois les Autrichiens nous assaillirent, et plusieurs fois nous les repoussâmes… Le bataillon des étudians, qui formait l’arrière-garde, en entendant le tumulte de la mêlée et en voyant porter les premiers blessés, ne put contenir son ardeur. Au moment où Laugier lui envoya l’ordre de venir à son tour payer à la patrie le tribut du sang, il était déjà au fort de la mêlée.

«… Deux pièces d’artillerie avec lesquelles le lieutenant Niccolini faisait un mal infini aux ennemis sont réduites au silence. Un accident met le feu à la caisse aux poudres, et l’incendie tue ou blesse la plupart des artilleurs. Niccolini est blessé. C’était là que je combattais. Je pouvais me croire en enfer. La voûte sereine des cieux voilée par la fumée, une maison et un tas de paille en flammes, l’air étincelant et embrasé, le bruit du canon qui redouble, les balles qui sifflent, les bombes qui pleuvent, les artilleurs victimes de l’incendie qui courent çà et là, l’un déjà nu, l’autre déchirant ses habits que le feu dévore ! Et néanmoins dans cet enfer rayonne sur le visage des combattans une joie céleste ; des enfans combattent comme des lions, et les cris de vive l’Italie ! raniment l’enthousiasme, comme si la bataille ne faisait que de commencer.

« Laugier, ne voyant pas arriver les Piémontais, pensa à battre en retraite. Le combat durait depuis plus de six heures. Le prolonger, c’eût été répandre inutilement un sang précieux. D’autre part, la retraite avec des troupes rassemblées au hasard, avec des chefs peu au fait des exercices militaires, sans réserve ni artillerie pour protéger le passage du pont, risquait de se changer en déroute. Sur ces entrefaites arrive à Laugier un messager de Giovanetti, qui demande s’il doit se replier. Le général répond affirmativement, et la décision prise pour les combattans de Montanara, il l’étend à

  1. Victoire remportée par les Milanais sur Frédéric Barberousse, le 29 mai 1176.