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plus grossiers. Kazi-Machmet, le second fils de Chamyl, vint même leur dire de se préparer au voyage. La princesse Anne se fit alors remettre la lettre de son mari, la lut, et déclara qu’elle n’y trouvait rien d’offensant pour Chamyl. — Faites-la traduire fidèlement, dit-elle, par Chakh-Abbas. — Le fils de Chamyl objecta que si la lettre n’était pas offensante, elle montrait clairement du moins que le prince refusait toujours le million demandé. — Cependant, observa-t-il, il a reçu du gouvernement beaucoup plus de 40,000 roubles, nous le savons. — La princesse n’hésita pas à contredire formellement cette assertion. Le jeune montagnard l’écouta attentivement, et finit par dire que si Chamyl voulait retarder encore leur départ pour les aouls, c’était afin de leur faire écrire de bonnes lettres à leurs parens. Les princesses se hâtèrent alors d’écrire ce qu’on leur demandait, et Chamyl y joignit un message menaçant. Le prince reçut ces lettres avec un mouvement de colère, et fixa un délai au-delà duquel il déclarait que, si Chamyl persistait dans ses exigences, l’affaire était rompue. Les députés rapportèrent fidèlement cette réponse à Chamyl, qui n’en parut point mécontent. Un entretien qu’eurent les princesses à ce propos avec l’instituteur du prophète les éclaira sur sa pensée. Le peuple demandait un million, mais Chamyl était moins exigeant que ses sujets. L’ermite qu’on avait fait venir, et dont nous avons parlé, avait pour mission d’obtenir du peuple l’abandon de ses prétentions. Le soir même, elles apprirent que Chamyl avait tout accordé, et que de nouveaux messagers étaient allés faire part au prince de ses décisions. Seulement le prophète se réservait de faire part ultérieurement du jour et des lieux fixés pour l’échange. L’essentiel était maintenant de commencer au plus tôt l’opération du paiement, qui devait être longue, car la somme promise devait être comptée en argent et le trésorier de Chamyl, envoyé par lui à Khasaf-Yourt, n’était pas fort expert. Les calculs furent heureusement facilités par Gramof, et l’opération marcha plus rapidement qu’on ne l’avait pensé. Les princesses apprirent cet heureux résultat par l’intendant, qui se présenta chez elles pour les prévenir, au nom de Chamyl, que le jour de l’échange serait le jeudi 17 mars 1855 (style russe). — Le jeudi, ajouta-t-il, est le jour favori de l’iman ; il le choisit toujours pour entrer en campagne et commencer les affaires importantes. — On comprend que les captives accueillirent de fort bonne grâce cette ouverture.

Peu de jours avant l’échange, le sérail fut encore le théâtre de scènes assez curieuses. On vit revenir le jeune fils de Chamyl, auquel son père avait pardonné, puis Kazi-Machmet avec sa jeune femme, la fille de Daniel-Sultan, dont l’élégant et riche, costume attira l’attention des prisonnières. On lui fit un accueil très affable ;