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métaphysicien que son disciple, fut beaucoup plus embarrassé. Il proposa plusieurs hypothèses, sans s’arrêter sérieusement à aucune. L’une d’elles est au moins ingénieuse. Il fait de l’oviparisme et de ses conséquences une question de puberté. Il admet que chez les pucerons l’âge adulte arrive, non par suite du nombre de jours qu’ils ont vécu, mais par suite du nombre des générations qui ont précédé leur naissance. Pas plus que les autres, cette explication ne prit réellement place dans la science, et cela devait être, car cette hypothèse ne touche même pas à la difficulté fondamentale et ne dit rien de la fécondité des vierges. Enfin je ne sais quel auteur imagina un autre système. D’après lui, les pucerons produisent toujours des œufs aussi bien que les autres insectes, mais chez eux la fécondation, au lieu d’agir sur une génération seulement, étend son influence à plusieurs générations successives. Elle devient par conséquent inutile jusqu’au moment où la somme d’action transmise de mère à fille est totalement épuisée. Dans cette hypothèse, les œufs se forment tout fécondés et éclosent dans le sein de la mère, comme on le voit chez tous les ovovivipares[1]. Envisagés à ce point de vue, les faits découverts chez les pucerons se rapprochaient de phénomènes déjà connus ; tout en conservant un caractère exceptionnel, ils rentraient à demi dans la règle. Le vague même de cette explication séduisit peut-être bon nombre d’esprits, la fit généralement accepter, et à peine a-t-elle été discutée jusqu’à ces dernières années.

À peu près en même temps que Bonnet faisait ses curieuses observations, les naturalistes découvraient d’autres phénomènes bien autrement inconciliables avec les idées qu’on regardait alors comme les fondemens de la science. Jusque vers le premier tiers du XVIIIe siècle, la nature de bien des corps était restée indécise ou avait été méconnue. Notre grand botaniste Tournefort, se fondant principalement sur les observations qu’il avait faites dans la grotte d’Antiparos, et, comme l’a dit Fontenelle, transformant tout en ce qu’il aimait le mieux, avait admis la végétation des pierres. Malgré les vues remarquablement justes émises plus d’un siècle auparavant par un observateur italien nommé Imperato[2], pour la majorité des naturalistes les polypiers calcaires étaient, comme pour lui, des pierres végétantes. D’autres les rapprochaient des polypiers cornés, regardant les uns et les autres comme des plantes. Cette dernière opinion parut démontrée

  1. On appelle ovovivipares les animaux qui produisent des œufs comme les ovipares, qui les gardent dans leur sein jusqu’au moment de l’éclosion et expulsent alors le jeune sans que celui-ci ait contracté avec sa mère les rapports intimes qui assurent le développement des vivipares. On trouve des exemples d’ovoviviparité chez les reptiles (vipère), les poissons (blennie), et chez plusieurs mollusques et annelés.
  2. Historia naturale, 1599.