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d’imprimerie que consomme annuellement cette énorme industrie donnerait le vertige au statisticien le plus courageux. Ces sortes de calculs, très faciles à faire chez nous, où la publicité est restreinte, et même en Angleterre, où cependant la publicité est énorme, sont fort difficiles à exécuter en Amérique, où il n’existe aucun moyen officiel d’opérer sur une base certaine. Écartons par conséquent tous les chiffres plus ou moins fantastiques que donnent certains voyageurs, pour nous en tenir au renseignement le plus probable et le plus modeste : il a déjà, tout modeste qu’il soit, quelque chose d’étourdissant et qui confond. Le dernier rapport du recensement officiel établit qu’il y avait en 1850, dans toute l’étendue de l’Union et pour une population de vingt-trois millions d’hommes, dont il faut enlever plus de trois millions d’esclaves pour lesquels la presse n’existe pas, environ 2,526 publications de tout genre, donnant un tirage annuel de 426,409,974 exemplaires, tandis, qu’en Angleterre, pour une population plus nombreuse et infiniment plus lettrée et plus riche, on ne compte pas plus de 624 journaux ou publications périodiques. Quoique nous n’aimions pas beaucoup la statistique, décomposons le chiffre énorme que nous avons donné ; c’est une opération instructive. De ces 2,500 journaux, 254 seulement sont quotidiens, 115 paraissent trois fois par semaine, 41 deux fois par semaine, et 1,902 sont hebdomadaires. L’importance considérable de la presse hebdomadaire explique cette prodigieuse publicité de l’Union, car elle indique, de manière à ne pas s’y tromper, quelle est la classe de la population qui fait le succès des journaux. Ce ne sont évidemment ni les gens de loisir, ni les lettrés, pour lesquels existent les journaux quotidiens et les publications mensuelles ou trimestrielles et qui ont le temps de lire tous les jours : ce sont les gens qui n’ont le temps de lire qu’une fois par semaine, ou bien à qui, même lorsqu’ils lisent tous les jours, une semaine est nécessaire pour lire un numéro de journal. Ainsi, par ce seul fait, le caractère de la presse américaine est bien marqué : tandis que chez nous elle s’adresse à un public relativement instruit, riche et jouissant de loisir, en Amérique elle s’adresse à la foule.

Le succès de ces publications hebdomadaires est un fait très significatif en un autre sens, car il explique ce que les Américains cherchent avant tout dans un journal. Qu’est-ce qu’un journal hebdomadaire ? C’est une publication forcément variée dans ses matières, bigarrée et mélangée, miscellaneous. S’il s’occupe de politique, il ne peut que résumer d’une manière générale les événemens de la semaine ; s’il porte un jugement, il est obligé de le donner sur un ton plus calme que le journal quotidien ; il perd ce ton de pamphlet et de personnalité qu’ont toujours les articles de journaux, qui parlent