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quelques-unes dans une page mémorable ; mais M. Bennett a poursuivi sa carrière sans s’inquiéter des criailleries de ces esclaves qui insultaient à son triomphe. Nous ferons comme lui et nous laisserons de côté des accusations et des insultes qui n’ont d’ailleurs rien de bien intéressant pour nous. La grande haine du New-York Herald, c’est la Tribune et la clique Seward, c’est-à-dire le parti abolitioniste, son chef et son journal. Son grand amour en apparence, c’est le compromis Clay et la cause de l’Union ; mais il tient mal la balance en équilibre, il penche vers le sud, quoiqu’il fasse, et laisse apercevoir les marques non équivoques d’une tendresse secrète pour l’intérêt de l’esclavage. M. Bennett a toujours appartenu au parti démocratique ; ce parti est riche, M. Bennett l’est aussi. Il a soutenu le gouvernement du général Tierce et la politique de M. Marcy jusqu’à une époque assez récente, et les mauvaises langues américaines et même anglaises ont attribué sa volte-face à un désappointement diplomatique. Nous n’en croyons rien, les fautes du gouvernement actuel ont été assez nombreuses pour motiver l’opposition d’un homme aussi clairvoyant que M. Bennett.

Arrêtons ici cette étude sur la presse américaine. En la prolongeant, nous tomberions dans des détails sans relations entre eux et sans importance générale. Nous avons indiqué les traits caractéristiques de la presse aux États-Unis. Cette publicité, qui est la plus énorme qu’il y ait dans le monde, n’a pas une importance et une action politique sensibles ; elle n’est un moyen d’action et de succès que pour le journaliste lui-même, dont la situation exceptionnelle a attiré notre attention. Toutefois la presse regagne en importance sociale ce qu’elle perd en importance politique : elle est le seul lien par lequel tout un peuplé déjà nombreux, disséminé sur un territoire immense, se rattache pour ainsi dire à lui-même ; elle est le miroir gigantesque dans lequel ce peuple apprend à, se connaître, elle est la chaîne électrique qui fait battre au même instant tous les cœurs américains, des frontières du Canada aux rivages du Pacifique. Le même jour, aux mêmes heures, la même nouvelle est lue et commentée à New-York, à Boston, à Philadelphie, à la Nouvelle-Orléans, et les citoyens de ces différentes villes, en ressentant les mêmes émotions, se sentent liés par les mêmes intérêts. Si la presse n’existait pas ou si seulement la publicité était moins grande, les États-Unis ne seraient à la lettre qu’une fédération de tribus, de provinces, une réunion de colonies ; ils ne seraient pas une nation, C’est par la presse seule qu’ils se reconnaissent comme nation, et qu’ils se saluent chaque matin comme peuple.


EMILE MONTEGUT.