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que convoqua Richard Cromwell, et avec lequel il essaya pendant deux mois de fonder un gouvernement. Les souvenirs personnels et quotidiens d’un membre de cette assemblée, membre aussi assidu qu’obscur, la font sortir du profond oubli où elle était tombée ; on ignorait ses actes, presque son existence : aujourd’hui la lacune est remplie, et la chute rapide, la précoce agonie du protectorat de Richard cesse d’être une énigme. D’autres renseignemens analogues comblent aussi d’autres lacunes ; mais pour nous, dans ces deux volumes, la vraie nouveauté n’est pas là : ce qui donne aux événemens qu’ils racontent cette ampleur, cette importance inattendue, ce sont des informations d’un autre ordre, et ces informations, ce n’est pas d’Angleterre, c’est de France qu’elles sont venues à M. Guizot.

Au moment de la mort de Cromwell, le cardinal Mazarin avait à Londres un correspondant actif qui, jour par jour, le tenait au courant des moindres incidens survenus dans les trois royaumes, des moindres mouvemens de l’opinion et dès partis. Sans être un grand esprit ni un ambassadeur de premier ordre, M. de Bordeaux observait bien, voyait vite, et sa longue pratique des affaires, son séjour prolongé dans la Grande-Bretagne, les relations qu’il s’y était faites, lui permettaient de pénétrer partout, et de porter sur tout d’excellens jugemens. On comprend ce qu’une telle correspondance peut jeter de lumière sur le pêle-mêle de cette époque, sur tous ces gouvernemens avortés qui vont se succédant depuis la mort de Cromwell jusqu’à la restauration. Il y a des choses dans l’histoire que les documens nationaux ne peuvent à eux seuls éclaircir suffisamment. Quelque soin qu’on apporte à les lire, à les interroger, la cause n’est vraiment pas instruite et le dossier n’est pas complet tant qu’on ne parvient pas à faire comparaître un témoin plus clairvoyant, plus : impartial que tous les autres, parce qu’il est à la fois sans passion et sans indifférence, un témoin qui a vu les événemens d’assez loin pour n’y pas être personnellement mêlé, d’assez près pour les bien voir et pour en être ému. Ce témoin, c’est l’étranger, c’est le public du dehors, représenté par la diplomatie des gouvernemens voisins. Quand un agent diplomatique, en situation de bien savoir les choses et abrité sous ses immunités, a écrit à son gouvernement sans gêne et sans réticence, quand il lui a dit à cœur ouvert tout ce qu’il a vu et entendu, ses dépêches, si par fortune on les possède, deviennent d’inappréciables documens, et servent à la fois de complément et de contrôle aux meilleurs documens nationaux. On peut dire, avec M. Guizot, que « pour tout ce qui s’est ; passé en Europe depuis trois siècles, nulle histoire n’est définitive tant qu’elle n’a pas subi cette épreuve et puisé à cette source. »