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Les premiers succès de Léon, les sommes qu’il a gagnées à la Bourse peuvent l’éblouir un instant, mais ne doivent pas l’engager à risquer cent mille francs. Et puis, quand il a cédé à la tentation, est-il bien venu à sermonner Léon, à lui refuser la main de sa fille ? Sa conduite ôte à ses paroles toute l’autorité que son âge pouvait leur donner : coupables au même degré, poussés à la même faute par des motifs différens, la raison leur conseille une mutuelle indulgence. L’inconséquence que je signale frappe les yeux-les moins clairvoyans.

Le personnage de Camille est traité avec un soin particulier. M. Ponsard a voulu faire de cette figure quelque chose de cornélien. A-t-il réalisé sa volonté ? Cœur loyal, intelligence droite, Camille n’admet pas de compromis quand il s’agit d’une question d’honneur. Elle a pour le jeu une aversion qui résiste aux faveurs les plus éclatantes de la fortune. Elle promet à Léon Desroches de n’épouser jamais un autre homme que lui, mais elle met à sa promesse une condition : Léon ne jouera plus S’il trahit son serment, elle est dégagée, et disposera librement de sa main. Jusque-là tout est vrai ; mais quand Léon a tout perdu, quand il est placé entre le déshonneur et le désespoir, le moment est mal choisi pour lui rappeler son serment et s’affranchir de sa promesse. Camille serait bien autrement grande si elle disait au joueur triomphant ce qu’elle dit au joueur désespéré. Refuser sa main au parjure, placer la foi jurée au-dessus de l’opulence, à la bonne heure ; repousser avec une impitoyable rigueur celui que l’amour peut seul rattacher à la vie, c’est là une pensée qui n’a rien de grand, qui excite dans l’auditoire autant de dépit que d’étonnement. Aussi ne faut-il pas hésiter à mettre Camille au-dessous de Reynold. Cette jeune fille, qui intéresse d’abord par la hauteur de sa raison, par la constance de son amour pour Léon, qui refuse les plus brillans partis pour demeurer fidèle à ses souvenirs, s’amoindrit singulièrement quand elle condamne, comme un juge, l’homme à qui elle devrait tendre la main. Il n’y a pas une femme qui, en pareille occasion, ne penchât du côté de la clémence. Je parle, bien entendu, de celles qui, par la noblesse de leurs sentimens, appartiennent à la poésie. Quant à celles dont toute l’éducation se réduit à savoir compter, le théâtre n’a pas à s’en inquiéter. Eussent-elles cent fois raison, elles ne pourront jamais émouvoir personne. Je ne m’explique pas comment M. Ponsard s’est mépris à ce point dans la composition du personnage de Camille. La rigueur de la jeune fille en face de la richesse eût été logique ; son inflexible sévérité en face de la misère ne se concilie ni avec la rectitude de l’intelligence, ni avec la loyauté du cœur.

Je n’ai pas grand’chose à dire des personnages épisodiques. Ils se meuvent à peu près au hasard, et l’auteur ne s’est pas donné la peine