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étaient couchés à terre sur des voiles de navire, avec leurs genoux pliés et ramenés vers le menton. On referma soigneusement la porte le la hutte, dans la crainte que les corps ne fussent mangés par les ours blancs. Ce fut la dernière tentative faite par les Hollandais pour s’établir l’hiver au Spitzberg.

L’histoire de la pêche de la baleine devrait aussi embrasser l’histoire des naufrages célèbres auxquels ont plus d’une fois donné lieu ces périlleux voyages dans les glaces éternelles. Ce serait une longue et lamentable épopée maritime dont nous détacherons seulement un épisode. Un pêcheur de baleine était parti du Texel dans une galiotte. Arrivé en face du Spitzberg avec l’intention de jeter l’ancre, il en fut empêché par des bancs de glace contre lesquels il s’efforçait vainement de manœuvrer. Apercevant alors deux baleines dans la baie, il se mit à leur poursuite. Pendant que les gens de l’équipage étaient occupés à ramer pour suivre les mouvemens de ces animaux, ils découvrirent à une certaine distance un grand îlot de glace, et à la surface de cet îlot un objet blanc qu’ils prirent à première vue pour un ours ; le harponneur jugea, lui, que ce devait être autre chose. Il leur persuada de ramer dans cette direction. Ayant suivi son conseil, ils ne tardèrent point à reconnaître sous ce ciel confus, au milieu de cette nature où tout est blanc, indécis et brumeux, un débris de voile que quelqu’un sans doute élevait en l’air un signal de détresse. Ils ramèrent vers ce point de toutes leurs forces, et en approchant ils trouvèrent, à leur grande surprise, quatre hommes vivans et un mort sur la glace. Ces malheureux, qui étaient Anglais, tombèrent à genoux en exprimant leur joie et leur reconnaissance d’une délivrance si inespérée. Leur vaisseau avait fait naufrage. Ils étaient quarante-deux au moment de la catastrophe ; à peine avaient-ils réussi à sauver quelques vivres et quelques outils. Le commandant, ayant reconnu, après deux ou trois jours de réflexion, qu’il était impossible pour eux de vivre longtemps sur ce champ de glace, se résolut à gagner la terre dans une corvette avec dix-sept de ses hommes. S’il réussissait dans son entreprise, il devait donner de ses nouvelles à ceux qui restaient. Il partit ; mais le vent soufflait dur, et, n’ayant plus entendu parler de lui, les malheureux pensèrent qu’il avait été submergé avant de gagner le rivage. Ils étaient demeurés trente-quatre. Bientôt ils manquèrent de provisions, et, n’ayant plus rien à attendre que la mort, les pauvres gens se divisèrent encore. La plupart d’entre eux s’embarquèrent sur des glaçons flottans, dans l’espérance de rencontrer quelque rivage. Ceux qui restaient n’entendirent plus jamais parler d’eux. De quarante-deux, les naufragés étaient réduits à quatre, qui s’attachaient à ce sol inhospitalier comme à une planche de salut. Ils avaient creusé un