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ensuite dans toutes les langues. Un des navires réunis à Smeerenberg pour la pêche avait mis à la voile et s’était avancé dans la direction du nord-ouest à une distance considérable ; il ne vît point de baleines, mais il rencontra des glaçons vraiment prodigieux, et qui ressemblaient à des plaines par l’étendue de la surface. Quelquefois ces plaines se meuvent. Vous vous figurez aisément les conséquences de la rencontre de pareilles masses avec d’autres masses qui leur résistent ; c’est un des spectacles les plus solennels que présentent les mers polaires, et à coup sûr un des plus terrifians. Il n’est pas rare que ces grands blocs acquièrent en flottant un mouvement rotatoire, lequel a souvent une rapidité de plusieurs milles à l’heure. Une plaine qui s’avance en tournant ainsi sur elle-même, et qui se heurte contre une autre plaine en repos, ou encore avec une autre plaine animée d’un mouvement contraire, produit un épouvantable choc. La plus faible des deux est mise en pièces avec un fracas indicible ; quelquefois même la destruction est mutuelle. Les deux plaines de glace se rencontrent, volent en éclats et en poussière. Les débris, d’une énorme dimension et d’un poids considérable, sont souvent lancés en l’air à vingt ou trente pieds, et couvrent un espace immense, tandis que d’autres s’abîment soudainement au fond de la mer.

Vous jugez que le navire le plus fort et le mieux construit n’est, vis-à-vis de ces masses flottantes, qu’un insignifiant obstacle. S’il a le malheur de se rencontrer entre deux plaines de glace en mouvement, il est inévitablement broyé. Le danger augmente encore dans les temps débrouillard, car il est alors difficile de suivre distinctement la marche de ces grands corps, qui se confondent avec la couleur générale du ciel. Il serait trop long de vous raconter tous les accidens auxquels ont donné lieu les champs de glace agités par le vent ou par les courans océaniques. Nos ancêtres eurent dans une seule année quatorze de leurs vaisseaux qui firent naufrage contre de tels écueils, et onze autres navires qui demeurèrent bloqués durant tout l’hiver. En 1777, un bâtiment hollandais, la Wilhelmina, fut engagé dans les glaces vers le 22 juin : la pression exercée par de telles masses flottantes était si grande, que l’équipage fut obligé de s’ouvrir un passage en sciant cette mer solide. Quelques jours