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de croire, que la passion a exagéré le caractère de ces scènes révoltantes ; on ne peut toutefois se défendre d’un sentiment de tristesse en présence de tels monumens historiques. De graves témoignages s’élèvent contre cet esprit de conquête qui associait aux intérêts politiques de sombres querelles religieuses.

Quiconque est curieux de connaître le revers de la médaille frappée par les historiens français doit venir en Hollande. Ici la mémoire du grand roi est chargée de sombres couleurs. Il existe dans toutes les bibliothèques des Pays-Bas des masses de brochures et de pamphlets qu’il est du moins intéressant de consulter. Les événemens de cette époque y sont présentés sous un jour nouveau. Il ne faut pas oublier qu’une partie de la population française était alors sur le sol étranger[1]. La liberté de penser, couverte dans les Provinces-Unies par la protection des lois, se vengeait cruellement du silence qui régnait autour du pouvoir absolu. La Néerlande profitait de ces divisions créées par les persécutions religieuses. Menacée par la Grande-Bretagne, par une partie de l’Allemagne et par la France, elle fit face sur toute la ligne à l’ennemi. Attaquée dans son existence nationale, elle eut recours à son moyen de défense ordinaire : elle appela les eaux, et se noya dans un marais, au moment où l’illustre de Ruyter sauvegardait les côtes contre l’alliance des flottes les plus puissantes. Après des victoires chantées par les poètes, Louis XIV, qui s’était avancé dans le pays, fut forcé de battre en retraite. Il s’éloigna, laissant derrière lui des digues rompues, « et, comme dit Voltaire, la déplorable gloire d’avoir détruit un des chefs-d’œuvre de l’industrie humaine. »

Utrecht était autrefois le siège de l’évêque catholique, prince souverain de ce district, et qui soutint de sanglantes guerres contre son rival le prince-évêque de Liège. Il y a quelques années, ce siège épiscopal fut rétabli par la cour de Rome avec quatre autres évêchés, autrefois célèbres, mais depuis longtemps ensevelis sous la victoire du protestantisme. Cet acte et plus encore les termes de l’encyclique soulevèrent les susceptibilités calvinistes. Il y eut un orage sous lequel disparut le ministère de M. Thorbecke. Quelques catholiques prudens désavouèrent eux-mêmes la forme de cette lettre apostolique, qui respirait trop le l’on d’un vainqueur rentrant dans

  1. On rencontre à chaque pas en Hollande les traces de cette émigration hostile ? À La Haye, on voit encore une boutique de coutellerie qui porte pour enseigne un chat ronge. Cette enseigne est, on ne le croirait pas, un monument historique. Un nommé Bertrand Français de naissance, coutelier de son état, était venu s’établir dans les Pays-Bas à la suite des guerres de la fronde. Comme signe de protestation, il fit peindre sur une plaque de tôle, d’un côté un chat rouge, et de l’autre le cardinal Mazarin, avec cette devise : Aux deux méchantes bêtes. La diplomatie s’en mêla, et le chat rouge seul est resté.