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En admettant que toutes les espèces actuelles existaient dans le monde primitif, M. Flourens échappe à bien des difficultés que l’école opposée rencontre sur sa route. Sans vouloir me prononcer contre l’autorité du savant académicien, j’avoue que mes sympathies sont pour l’école de Geoffroy Saint-Hilaire, qui nous montre les développemens successifs des germes primitifs des espèces animales et végétales, sous les influences extérieures, donnant naissance à des espèces nouvelles et réalisant une sorte de création moderne dont la sagesse industrieuse de la puissance créatrice a préparé d’avance la possibilité et les moyens. Elle a établi les lois de la nature à l’origine des choses, et elle les suit sans y déroger, puisqu’on ne peut pas admettre une imprévoyance de sa part ; c’est le semel jvssit, semper paret de Sénèque. Dieu a ordonné une première fois, et il s’obéit ensuite toujours à lui-même. Abordons avec ces idées l’école de Geoffroy Saint-Hilaire, qui admet expressément qu’il existe aujourd’hui des espèces animales et végétales que le monde précédent ne possédait pas.

Quoique ayant suivi personnellement et à l’époque où ils se sont produits, tous les débats des deux écoles que l’on désignait sous les noms de Cuvier et de Geoffroy Saint-Hilaire, je n’entrerai point dans le fond de la discussion, que je voudrais voir traité par des autorités plus compétentes. L’école de Geoffroy, avec ses idées sur l’unité de composition, nous montre dans tous les êtres des organes rudimentaires, véritables pièces d’attente pour un développement tout autre que celui que les circonstances particulières ont fait suivre à l’espèce spéciale qu’on étudie. La théorie des analogies, des connexions et du balancement des organes, les vues exposées sur la signification et le rôle des organes rudimentaires, toute l’immense théorie des monstruosités qui décèlent les tendances de la nature quand elle est affranchie du joug des circonstances ordinaires, un étroit finalisme exclu de la science, enfin ce que M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, son fils, caractérise nettement par les mots suivans : réfutation de l’hypothèse de l’immutabilité des espèces, — influence modificatrice des circonstances extérieures, — possibilité que les races actuelles descendent des races antiques[1] : — tous ces vastes travaux d’Etienne Geoffroy Saint-Hilaire et de son école nous invitent à transporter sous son buste, et au même titre, l’épigraphe inscrite sous celui de Buffon : Génie de pair avec la majesté de la nature.

Majestati naturae par ingenium.

Écoutons M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire : « Rien de plus séduisant

  1. Voyez l’ouvrage de M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire : Vie, travaux et doctrine scientifique d’Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, Paris 1847.