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transportait aux dieux, dans ses fictions, les choses humaines : j’aimerais mieux qu’il eût transporté les choses divines aux hommes ! Toutes les fois que l’intelligence de l’homme veut essayer de comprendre la puissance créatrice, la voix de la raison lui crie : Monte, monte encore, monte toujours ! Puis, quand elle est au plus haut point où elle peut atteindre, elle est encore aussi éloignée du but qu’au moment du départ. Les Athéniens avaient élevé une statue Θεω άγνωστω, mots que l’on traduit ainsi, avec saint Paul : Au dieu inconnu. Le vrai sens est littéralement : Au dieu inconnaissable, sens aussi profond qu’il est incontestablement vrai.

Je n’ai point à m’étendre d’ailleurs sur cette question de l’immutabilité des espèces après ce qui en a été dit dans une excellente étude publiée ici même[1], et où je regrette seulement de ne pas voir mentionné le singe fossile d’Athènes, dont tous les naturalistes ne parlent aujourd’hui qu’avec amour et passion (con amore). — Avez-vous vu le cinquième singe fossile, celui d’Athènes ? — Pas encore. — Venez, allons-y tout de suite ; — Mais je suis fort occupé d’un sujet tout à fait différent. — C’est un objet unique ; allez-y dès que vous aurez un instant disponible. — Je n’y manquerai pas.

D’où vient donc le débat entre les partisans de l’existence d’espèces nouvelles, ayant paru depuis la dernière catastrophe, et les partisans de l’opinion que toutes les espèces actuelles ont leurs représentant dans la nature fossile ? Évidemment de ce que les uns admettent comme caractères essentiels de non identité ce que les autres regardent comme de simples variétés, — par exemple les différences qui, dans l’espèce humaine, existent entre la race caucasique d’Europe et la race nègre d’Afrique. Je dois dire, pour n’omettre aucune des pièces du procès, que la doctrine moderne des développemens embryonnaires semble favorable à la production d’espèces nouvelles. Pour sortir d’embarras sans interroger la paléontologie, l’embryogénie, la physiologie, l’anatomie et l’histoire naturelle, cherchons maintenant ce que l’expérience directe, absolue, ou, même encore plus modestement, ce qu’un plan d’expériences directes peut nous faire espérer de lumières dans un sujet si obscur.


III

Abstraction faite de tout ce qui précède, je pose cette question hardie : la physiologie expérimentale peut-elle nous fournir des lumières pour la solution du problème de la fixité des espèces ou de

  1. Revue des Deux Mondes du 15 mai — la Paléontologie, par M. Laugel.