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il ne renia d’ailleurs qu’en partie le Dieu de ses pères. On accuse les orthodoxes de professer plus d’ardeur pour l’Ancien que pour le Nouveau-Testament. La sombre majesté d’un Dieu omnipotent, impénétrable et taciturne convient mieux à leur caractère et à leurs idées que l’enseignement doux et humain de l’Évangile. La notion d’une race privilégiée flatte d’ailleurs leur sentiment national. Il leur suffit de transporter Israël dans la Néerlande pour continuer les traditions bibliques. M. da Costa se croit le descendant de ces prophètes auxquels le Tout-Puissant révélait autrefois ses volontés. Son talent s’est de préférence exercé sur les sujets religieux. On pourrait définir sa poésie, d’après un vers de l’auteur, « une musique qui passe entre le ciel et la terre. » Cette musique un peu vague gagnerait peut-être à se rapprocher de notre humble planète. Un mysticisme bizarre exalte et affaiblit en’ même temps cette nature impétueuse, qui a conservé sous le ciel du nord quelques gouttes du sang méridional. Un des traits de l’école à laquelle appartient M. da Costa, c’est la haine et le mépris de l’économie politique. M. da Costa s’est emporté contre le mouvement industriel de notre siècle, qu’il confond avec le culte aveugle de la matière. Toutes les invectives des poètes contre la locomotive, cette salamandre moderne, ne l’empêcheront cependant pas de courir et de faire le tour du monde. Une poésie qui se trompe de date, qui voudrait immobiliser l’esprit humain, n’a pas d’avenir. Cette direction a été fatale : elle a fait négliger le cœur humain, la nature, le drame social, toutes les sources éternelles et inépuisables du beau. La poésie hollandaise ne doit point abjurer sans doute le sentiment spiritualiste ; mais ce sentiment, égaré dans des fictions inintelligibles, associé à l’esprit de secte, borné aux limites étroites d’une petite église nationale, ne saurait jamais remplacer la contemplation de Dieu dans l’univers et dans l’humanité. D’ailleurs cette littérature n’est point exempte d’emphase. Une telle enflure de mots n’est pas dans le caractère hollandais, dont le principal mérite est au contraire la simplicité ; il faut donc en chercher l’origine en des inspirations sèches et ténébreuses, qui, à défaut d’idées solides, aiment à gonfler la forme. J’ai vu M. da Costa dans la ville d’Amsterdam, où il habite : ses traits, quoique heurtés par la maladie qui défigura Mirabeau, attestent bien, avec des cheveux noirs, son origine sémitique[1].

  1. M. da Costa donne à La Haye, dans la salle Diligentia, des leçons, ou, comme on dit ici, des lectures politico-religieuses. La forme en est aussi bizarre que le fond des idées ; mais il faut croire que ce mélange de tous les genres, de tous les styles et de toutes les questions est dans le goût d’une partie du public hollandais, car ces conférences ont du succès. La critique n’a pourtant pas ménagé les aberrations de cette école, d’ailleurs pleine de verve.