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emportés au-delà du but par la grandeur de leur génie, et que pour réussir dans cette étude il ne faut guère autre chose que dépouiller tout préjugé soit pour ses opinions, soit pour celles d’autrui. »

Voilà donc le secret de cet exil volontaire. Reprendre en sous-œuvre toutes les recherches des philosophes, assimiler quant à la méthode les études morales aux investigations scientifiques, et arriver par une voie nouvelle à donner à la philosophie un fondement certain, telle est la tâche que Hume s’impose avant d’avoir vingt ans, à l’âge où la plupart des hommes n’ont d’ardeur et souvent de pensées que pour le plaisir. Certes ce n’est point une âme médiocre que celle qui conçut une semblable ambition, et le sacrifice de Hume abandonnant à la fois patrie, amis et carrière, sa persévérance, sa pauvreté studieuse s’ennoblissent encore de l’élévation des motifs qui l’animaient. Ses aveux nous montrent cet esprit si logique possédé dès le début du besoin de se satisfaire complètement. Il faut à Hume la vérité entière ; on peut déplorer que cette poursuite de la certitude ne l’ait conduit qu’au scepticisme absolu, mais on doit rendre justice à la sincérité et à la parfaite bonne foi qui éclatent dans toute sa conduite. Hume ne s’ouvrit à personne de son grand dessein, et pendant sept années il l’eut toujours présent à l’esprit, il y ramena toutes ses pensées, ne se délassant de ses recherches opiniâtres que dans le commerce de Cicéron, de Virgile et de Pline. Occupé sans relâche à recueillir les preuves du système qu’il élaborait, essayant, sans se trahir, ses argumens chaque fois qu’une discussion lui en donnait l’occasion, — à La Flèche comme à Reims, dans ses méditations solitaires, dans ses lectures, comme dans ses conversations avec les pères jésuites et les savans, — il n’eut jamais en vue que l’accomplissement de sa tâche : faire pour les sciences morales ce que Bacon avait fait pour les sciences naturelles, appliquer aux faits intellectuels la méthode expérimentale, et arriver par l’expérience et l’induction à des résultats incontestables.

La pensée de Hume se révèle clairement dans le titre qu’il donna à son livre, lorsqu’à l’âge de vingt-six ans il se rendit à Londres pour publier le résultat de ses travaux. Ce premier ouvrage fut intitulé : Traité de la nature humaine, et il eut pour sous-titre : « Tentative pour introduire dans les études morales la méthode expérimentale de raisonner. » Il portait d’un bout à l’autre l’empreinte de l’esprit dans lequel il avait été conçu. Le meilleur résumé qu’on en puisse faire est contenu dans la page suivante, où Hume développe les principes qui doivent dominer l’étude de la philosophie, de l’histoire et de la critique, et où il semble répondre à toutes les questions qu’il s’était posées à dix-huit ans. Avertissons toutefois que cette page n’est pas empruntée au Traité de la nature humaine, mais aux