Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la nature extérieure et jusqu’à l’intelligence de l’homme heurte si violemment l’inébranlable conviction du genre humain, qu’on est toujours tenté de ne voir dans le scepticisme qu’un jeu d’esprit, une gageure soutenue par des prodiges de sophistique. Pourtant ce serait être injuste envers Hume que de lui refuser le mérite d’une opinion sincère et réfléchie, et de confondre sa doctrine avec l’incrédulité railleuse et intempérante des beaux-esprits français ses contemporains. Il n’y avait point chez Hume de parti pris d’être sceptique; il avait accepté, comme tous les hommes de son temps, la philosophie de Locke; seulement son intelligence ferme et nette a fait sortir de cette philosophie les conséquences inévitables que les autres n’y avaient pas aperçues, et alors le scepticisme lui est arrivé comme une conclusion irrésistible. «Où suis-je, et que suis-je? s’écriait-il au début de ses études. A quelles causes dois-je mon existence et à quel état retournerai-je? De qui dois-je rechercher la faveur, et de qui redouter la colère? Quels êtres m’entourent? Sur qui ai-je une influence quelconque, et qui a influence sur moi? Toutes ces questions me confondent, et je commence à me croire dans la plus déplorable condition qu’il soit possible d’imaginer, entouré des plus épaisses ténèbres et entièrement privé de l’usage de tout membre et de toute faculté. »

Ce n’est point là ce ricanement qui n’abandonne jamais les incrédules français, même lorsqu’ils abordent les plus hautes questions; c’est le langage grave et ému d’un esprit sérieux qui comprend toute l’importance des problèmes qu’il agite. Il semble entendre comme un écho de Pline l’Ancien dépeignant à grands traits la misérable condition de l’homme jeté nu sur la terre. Est-ce d’ailleurs la seule trace d’émotion qu’on trouve chez Hume? Mais qui n’a présente à la pensée l’énergique peinture qu’il a faite des conséquences de sa propre doctrine et de la condition de tout sceptique en face de l’opinion du genre humain? C’est le cri d’une âme qu’une conviction courageuse et une ferme volonté soutiennent seules dans la poursuite de la vérité.


« Je suis terrifié et anéanti par cette solitude et ce délaissement où je me trouve placé dans ma philosophie; il me semble que je sois quelque monstre étrange et informe qui, incapable de frayer et de s’unir avec personne, s’est vu expulsé de tout commerce humain, et qu’on laisse entièrement abandonné à lui-même et sans consolation. Volontiers irais-je chercher au milieu de la foule l’abri et la chaleur, mais je ne puis prendre sur moi de me mêler à elle avec une pareille difformité. J’en invite d’autres à venir se joindre à moi, afin que nous fassions bande à part, mais personne ne veut m’entendre. Tout le monde se tient à distance et redoute cette tempête par laquelle je suis battu de tous côtés. Je me suis exposé à l’inimitié de tout ce qui est métaphysicien, logicien, mathématicien et même théologien : com-