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dans ces notes rapides prises au jour le jour ; mais le philosophe se retrouve dans les déductions que Hume tire des faits qu’il remarque. C’était chose peu usitée à cette époque que d’observer de si près le côté matériel de la vie des peuples, et surtout d’en faire découler des conséquences morales : c’est aussi là ce qui fit le grand succès des livres de Hume en France, en leur donnant un air de nouveauté et une sorte d’originalité.

Le rétablissement de la paix en 1748 par le traité d’Aix-la-Chapelle mit fin à la mission du général Saint-Clair, et ramena Hume en Écosse. Dans l’intervalle de ses deux expéditions avec le général, Hume avait préparé une troisième édition des Essais moraux et politiques, et il avait refondu son Traité de la nature humaine, auquel il avait donné la forme définitive que cet ouvrage a conservée sous le titre de Recherches sur l’entendement humain. Ces deux livres parurent pendant que Hume était encore à Turin, et malgré ce qu’il en dit dans le court écrit qu’il a laissé sur sa vie, le succès en fut grand, si l’on tient compte de la gravité des matières qui y étaient traitées et des préoccupations de l’opinion publique au milieu d’une guerre acharnée et au sortir d’une insurrection qui avait failli renverser la maison de Hanovre. On a vu déjà que Hume avait mitigé dans les recherches plusieurs des assertions trop hardies contenues dans le Traité de la nature humaine. Il n’avoua plus désormais que cette seconde forme de sa pensée, protestant avec véhémence contre les argumens que l’on pourrait tirer de son premier ouvrage, qu’il condamnait lui-même à l’oubli ; mais malgré les adoucissemens qu’il avait apportés dans renonciation de ses idées, les Recherches lui firent plus de tort dans l’opinion du public religieux que le Traité de la nature humaine, parce qu’elles trouvèrent plus de lecteurs, et le chapitre sur la crédibilité des miracles demeura toujours le grand et inexorable grief du clergé protestant contre l’auteur. Les réfutations abondèrent et accrurent le débit du livre.

De retour au sein de sa famille, Hume reprit sa vie studieuse : c’est l’époque la plus féconde de sa carrière littéraire. Il mettait la dernière main aux Recherches sur les principes de la morale, qui parurent en 1751 ; il composait les Discours politiques, qui virent le jour en 1752, et il entreprenait les Dialogues sur la religion naturelle, qui ne furent publiés qu’après sa mort. Cette liste des ouvrages publiés ou écrits coup sur coup par le même homme ne donne encore qu’une faible idée du travail que Hume s’imposait. On voit par sa correspondance ce qu’un des discours politiques, celui qui traite de la densité de la population dans l’antiquité, lui coûta d’efforts. Il se fit un devoir de relire, la plume à la main, tous les auteurs grecs et latins, et il différa la publication de plusieurs mois faute de pouvoir se procurer un Strabon. En dehors de ses travaux personnels, il sur-