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des expressions pittoresques et des tours originaux qu’il rencontrait dans les vieux auteurs. Des puristes lui ont reproché quelques gallicismes et quelques tournures écossaises ; ce fut cependant l’occupation de sa vieillesse de faire la chasse aux scotticismes qui se trouvaient dans ses livres, et sa correspondance nous le montre suppliant continuellement tous ses amis de Londres de lui signaler ces taches originelles, afin qu’il en soit fait justice à la prochaine édition. En somme, s’il n’y a qu’une voix pour louer l’exécution de ce grand ouvrage, sur le fond même des choses des critiques graves ont été élevées contre Hume. Lord Brougham l’a accusé d’avoir composé son histoire avec précipitation ; mais le principal argument sur lequel repose ce reproche, c’est qu’il résulte de la correspondance de Hume que le premier volume a été écrit en un peu moins de deux ans, tandis qu’un volume et demi de l’Histoire d’Ecosse a coûté six ans de travail à Robertson. Sans vouloir appliquer ici la maxime que le temps ne fait rien à l’affaire, on peut répondre que la vraie question à considérer est celle de l’emploi du temps. Robertson était un esprit plus lent que Hume, et il n’était pas, comme celui-ci, libre de toute occupation et de tout soin de famille. Célibataire, sobre, frugal, sans autre passion et sans autre récréation que l’étude, toujours levé avec l’aube, Hume s’enfermait du matin au soir dans sa bibliothèque, ayant sous la main tous les livres dont il avait besoin, et il consacrait uniquement à son histoire une application et une puissance de travail qu’il a été donné à bien peu d’hommes d’égaler. Toute autre pensée que celle de son livre disparaissait de son esprit, sa correspondance même était suspendue ; chaque fois qu’il a terminé un volume, on le voit s’accorder quelques jours de repos, et s’excuser auprès de ses plus chers amis d’être demeuré six mois et quelquefois davantage sans répondre à leurs lettres les plus pressantes. « Je regarde comme une bagatelle, écrit-il au docteur Cléphane, d’expédier un volume in-4o en quinze ou dix-huit mois, et je ne suis pas capable d’écrire une lettre tous les deux ans ; je m’acharne à entretenir correspondance avec la postérité, dont je ne connais rien, et qui probablement ne s’inquiétera guère de moi, tandis que je me laisse oublier par mes amis, que j’aime et que j’estime. Cependant ce n’est pas sans quelque satisfaction que je puis vous expliquer un silence que je suis le premier à me reprocher, je l’avoue ; j’ai conduit mon histoire jusqu’à la mort de Charles Ier. Je compte m’en tenir là quelque temps ; je veux relire, réfléchir et corriger ; je veux examiner ce qui précède et ce qui suit, et adopter sur toutes les questions l’opinion la plus modérée et la plus raisonnable. » On ne reconnaît là ni le langage ni les habitudes d’un écrivain qui compose avec précipitation.