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fenêtre ouverte, et la lumière d’un éclatant soleil était adoucie par les rameaux verts du vieux poirier planté devant l’habitation. En face d’elle, assise sur le plancher, Paracha sommeillait la tête appuyée sur le bord du lit, et il lui sembla reconnaître dans la voix qui agaçait le vieux chien Polkane celle de son frère Micha, — C’est encore un rêve, se dit-elle en refermant les yeux. J’en ai tant fait pendant cette longue nuit; j’ai même rêvé que mon père m’emportait en me serrant dans ses bras, comme il le fit le jour de mon retour.

Ce n’était pas un rêve cependant : le starovère avait liquidé ses affaires et vendu sa boutique du gostinoï-dvor; il s’était établi avec son fils et Savelief dans le bourg de Krementchug, où il avait recommencé son négoce à nouveaux frais. Des affaires l’ayant conduit dans l’intérieur de la Russie au moment où le choléra éclatait à Staradoub, la lettre par laquelle la recluse le rappelait lui parvint trop tard, et il n’arriva chez la sainte femme que pour relever sa fille, tombée mourante sur le corps de sa marraine. Le locataire de la maison de Paul-le-Sévère s’étant dédit du bail à cause de l’épidémie, le starovère y fit transporter son enfant évanouie. Le délire s’était pour longtemps emparé de Lisaveta, et déjà l’automne était revenu assainir l’air, quand la jeune femme se réveilla dans sa svetelka de son long et fiévreux sommeil.

Si la présence de Paracha au chevet de son lit lui prouvait que son expiation avait été acceptée par les hommes, le calme de sa conscience lui disait que Dieu avait accueilli et agréé son repentir. Aussi les forces et la santé lui revinrent-elles rapidement. Elle remarquait pourtant un vide au cercle de la famille : son jeune frère, en lui parlant à toute occasion de Savelief, ne se doutait pas de la joie, mêlée de regrets amers, qu’il lui causait. Paul-le-Sévère s’était demandé plus d’une fois si la transformation morale promise par la recluse s’était accomplie. Il lui fut bientôt impossible d’en douter. Chacun s’empressait de lui demander des nouvelles du bon ange de Staradoub, et toutes les matrones de l’endroit se relayaient à l’envi l’une de l’autre pour la veiller et la soigner. — Tiens, lui dit un des anciens du village en voyant Lisaveta pâle et faible encore, assise à la place d’honneur, au milieu du conclave autrefois hostile, entre la meunière et la boulangère, tiens, frère, tu sais que je suis un homme dur à ramener et qui tient à ses opinions plus qu’il ne le devrait peut-être : eh bien ! si j’avais un fils à établir, je te ferais demander pour lui comme une grâce, par la meilleure svakha du pays, la main de ta fille, et cela sans dot encore.

Le visage du vieillard rayonna. — Frère, dit-il en lui serrant la main, crois-tu vraiment et sur ton honneur que je puisse l’accorder