Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tiff ; bonjour, mon garçon. Pouvons-nous vous aider ? John, descendez et aidez-le un peu.

« — Pardon, miss Nina, dit Old Hundred ; mais les chevaux sont très vifs ce matin, je ne puis les quitter une minute.

« — Dieu vous bénisse, miss Nina ! dit Tiff, rendu à sa bonne humeur habituelle ; ce n’est rien : il s’est cassé à un très bon endroit cette fois ; je l’aurai racommodé en une minute. »

« Et ainsi fit-il avec une pierre et un gros clou. « Dites-moi, ajouta Nina, comment vont la petite miss Fanny et les enfans ? » Miss Fanny ! Si Nina avait comblé Tiff de présens, elle n’aurait pas pu lui faire le plaisir inexprimable que lui firent ces deux mots. Il s’inclina jusqu’à terre sous le poids de la joie, et répondit que miss Fanny et les enfans allaient bien.. . »

Old Hundred est l’ennemi et le persécuteur de ce bon Tiff, et rien n’est amusant comme les querelles de ces deux vieux nègres. Ce sont des traits de nature. Voici Old Hundred qui dit à sa femme :

« — Vous m’étonnez, Rose. Vous la cuisinière des Gordon, vous vous familiarisez comme cela avec des nègres de blancs ruinés !

« Si l’insulte ne s’était adressée qu’à lui personnellement, le vieux Tiff se serait probablement mis à rire aussi joyeusement qu’il le faisait quand il était pris par une averse ; mais l’allusion à la famille l’alluma comme une torche, et ses yeux brillèrent à travers ses grandes lunettes comme des éclairs à travers des fenêtres.

« — Va, va, dit-il, tu parles de ce que tu ne connais pas. Qu’est-ce que tu connais aux vieilles familles de la Virginie ? C’est cela le vieux tronc ! Vos familles de la Caroline en viennent toutes. Les Gordon sont une bonne famille, je n’ai rien à dire contre les Gordon ; mais où donc as-tu été élevé pour n’avoir pas entendu parler des Peyton ? Sais-tu que le vieux général Peyton avait six chevaux noirs à sa voiture comme un roi, des chevaux qui avaient des queues longues comme mon bras ! Tu n’en as jamais vu comme cela dans ta vie…

« — Bon Dieu ! dit Old Hundred, comme ces vieux nègres font des contes ! Ils font toujours des histoires sur leurs familles. Cela me fait dresser les cheveux d’entendre ces vieux nègres ; ils sont si menteurs !

« — Ceux qui mentent te volent ton bien, n’est-ce pas ? dit Tiff ; mais je te préviens que ceux qui diront un mot contre les Peyton auront affaire à moi.

« — Ces enfans-là, des Peyton ! mais ce sont des Cripps, et qui a jamais entendu parler des Cripps ? Qu’on ne m’en parle pas ; ce sont de pauvres diables de blancs ; cela peut se voir rien qu’à les regarder.

« — Vas-tu te taire ? dit Tiff. En vérité, je crois que tu n’es pas né chez les Gordon, car tu n’as pas les moindres manières. Je suppose que tu n’es qu’un vieux nègre d’occasion que le colonel Gordon aura pris par-dessus le marché d’une de ces familles du Tennessee qui sont toujours paniers percés. C’est de la plus mauvaise drogue de nègres. Les vrais nègres Gordon sont tous des ladies et des gentlemen, tous jusqu’au dernier, dit le vieux Tiff, qui, en véritable orateur, mettait l’auditoire de son côté.

« Une acclamation générale accueillit le compliment, et Tiff, à l’abri de ces applaudissemens, se retira en triomphe. »