Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dences de M. Necker, instruit des nouvelles et en possession d’un profitable crédit. La négociation avait donc complètement réussi. M. de Staël était arrivé au comble de ses désirs; il se voyait maître d’une immense fortune et ambassadeur à vie. M. Necker avait sa fille sinon comtesse, du moins baronne et ambassadrice, et c’était de quoi permettre à la fille du ministre de porter tête haute à la cour. Enfin Gustave lui-même, outre les avantages que cette union promettait à sa politique, avait conquis une nouvelle et déjà célèbre admiratrice, de qui la correspondance allait s’ajouter dans ses portefeuilles, avec un éclat plus grand encore, à celles de Mmes d’Egmont, de La Mark, de Boufflers et de tant d’autres.


II. — MADAME DE STAËL AMBASSADRICE. — BULLETINS DE NOUVELLES.

Nous savons quelles ont été les dispositions et la conduite de chacun des personnages qui sont intervenus dans la précédente négociation; il n’y en a qu’un, avons-nous dit, sur le compte duquel nos documens, y compris les lettres de M. de Staël, ne nous ont encore apporté absolument aucune lumière : c’est précisément la fiancée elle-même, la fiancée si ardemment et si longtemps désirée. Des sentimens de M. de Staël pour Mlle Necker, nous ne saurions rien affirmer, sinon que sur ce point sa passion était tout au moins singulièrement discrète. Et quant à la plus active négociatrice du mariage, Mme de Boufflers, il est certain qu’elle avait en vue le profit de Gustave III et de Staël bien plus que le bonheur conjugal des futurs époux. Elle écrivit en effet au roi de Suède, en lui apprenant la conclusion définitive de cette grande affaire, une lettre qui dévoile toute sa pensée : «... Je souhaite, dit-elle sans façon, que M. de Staël soit heureux, mais je ne l’espère pas... Sa femme est élevée dans des principes d’honnêteté et de vertu, il est vrai, mais elle est sans aucun usage du monde et des convenances, et si parfaitement gâtée sur l’opinion de son esprit, qu’il sera difficile de lui faire apercevoir tout ce qui lui manque. Elle est impérieuse et décidée à l’excès: Elle a une assurance que je n’ai jamais vue à son âge et dans aucune position. Elle raisonne sur tout à tort et à travers, et, quoiqu’elle ait de l’esprit, on compterait vingt-cinq choses déplacées pour une bonne dans tout ce qu’elle dit. L’ambassadeur n’ose l’avertir de peur de l’éloigner de lui dans les commencemens. Pour moi, je l’exhorte à employer d’abord la fermeté, sachant que c’est la manière dont on a commencé qui décide bien souvent du reste de la vie. Au reste, les partisans de son père la portent aux nues; ses ennemis lui donnent mille ridicules ; les personnes neutres, tout en rendant justice à son intelligence, lui reprochent de parler trop et