Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à Paris le 30 mars 1856 n’autorisent la présence prolongée des soldats autrichiens sur le Bas-Danube. Le cabinet de Vienne n’a qu’un motif, c’est que la Russie persiste jusqu’ici malencontreusement à disputer l’île des Serpens et Bolgrad. Or il est bien évident que ces divergences sur des points secondaires n’affaiblissent point la portée des engagemens généraux pris par les gouvernemens entre eux, et que s’il y a des difficultés, elles sont du ressort non d’une puissance particulière, mais de l’autorité collective des cabinets réunis en conférence. Si les soldats autrichiens sont légitimement dans les principautés, pourquoi l’armée française ne serait-elle point encore à Sébastopol ? Pourquoi les Russes eux-mêmes ne seraient-ils point à Kars jusqu’au règlement définitif des frontières d’Asie ? L’Autriche, ce nous semble, a un peu le tort de continuer la guerre en temps de paix, après avoir été beaucoup plus pacifique quand la guerre sévissait. Malheureusement le cabinet de Vienne a trouvé un secours inattendu en Angleterre. Après quelques tergiversations, les journaux anglais ont oublié leurs rudes diatribes contre la politique de l’empire allemand. Ils ont soutenu les prétentions de l’Autriche, lis ont d’autant plus aisément défendu cette cause nouvelle, que la présence des soldats autrichiens sur le Bas-Danube autorisait la présence des vaisseaux anglais dans la Mer-Noire, et on a eu l’édifiant spectacle de deux puissances se justifiant mutuellement de la violation des engagemens pris, parce qu’elles accomplissaient en commun cette violation.

Il restait un point à éclaircir. L’occupation des principautés par l’Autriche continuait-elle de l’aveu de la Turquie ? C’est cette question qui s’agite aujourd’hui à Constantinople, et qui vient de produire une crise ministérielle, résultat inévitaijle d’un choc d’influences rivales. La Turquie, a-t-on dit à Vienne, acquiesce entièrement aux vues de l’Autriche, elle ne demande pas mieux que de voir les impériaux dans les principautés. — La Turquie, a-t-on dit à Paris, réclame la libération définitive de son territoire. — Les deux assertions ont pu être vraies successivement ou alternativement, c’est-à-dire que chacun agissait et parlait dans le sens de ses désirs en se promettant la victoire, qui ne pouvait cependant rester qu’à un seul. Au fond, il paraît certain que depuis quelques jours déjà le cabinet ottoman avait préparé une communication diplomatique, réclamant, conformément au traité, l’évacuation définitive des domaines de la Turquie par les forces étrangères. Bientôt cependant la diplomatie se mettait à l’œuvre pour essayer de neutraliser le coup, et elle parvenait à placer le grand-visir, Aali-Pacha, et le ministre des affaires étrangères, Fuad-Pacha, dans la nécessité de donner leur démission. C’était donc une sorte de triomphe de la politique favorable à l’occupation. Les efforts réunis de l’internonce d’Autriche, M. de Prokesch, et du représentant de l’Angleterre, lord Stratford de Redcliffe, avaient presque réussi ; seulement le triomphe a été éphémère. Le sultan a refusé la démission de ses ministres, et leur a de nouveau témoigné sa confiance en les maintenant à leur poste, et la victoire est restée à la politique appuyée par la France, qui tend à la libération du territoire turc. La dernière crise ministérielle de Constantinople met en regard ces deux faits, la présence des Autrichiens sur le Bas-Danube et l’expiration du délai dans lequel doit s’opérer l’évacuation du territoire ottoman par les troupes étrangères. Telle est aujourd’hui la situation.