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graves. L’avantage que possède en ce moment le marché financier anglais par rapport aux marchés du continent est facile à expliquer. L’Angleterre a pour ainsi dire terminé les grandes entreprises qui constituent ce qu’on pourrait appeler l’installation de l’industrie, et qui engagent les capitaux dans les placemens fixes. Le capital disponible de l’Angleterre est donc aujourd’hui presque tout entier employé aux opérations immédiatement reproductrices du commerce et de l’industrie. De là l’élasticité et la rapidité de développement commercial dont témoignent surtout cette année les exportations de l’Angleterre, qui dépasseront de plus de cinq cents millions de francs celles de l’année dernière ; de là aussi la solidité actuelle du crédit anglais. En France et sur le continent, les choses sont loin d’être aussi avancées. Il n’y a que peu d’années que nous nous appliquons à donner à notre industrie les grandes voies de communication et la puissante installation que réclament les progrès économiques du monde. De là l’absorption de notre capital disponible dans des entreprises qui l’immobilisent et ne sont rémunératrices qu’après avoir traversé, au milieu de chances aléatoires, un long espace de temps. Telle est la cause la plus réelle des embarras présens. Nous avons converti notre capital circulant en capital fixe dans une proportion et avec une rapidité plus grandes que la prudence ne le conseillait ; il y a là un dérangement d’équilibre que le temps seul et notre modération pourront réparer. Une chose au moins peut nous consoler, sinon nous justifier : c’est qu’au prix des souffrances passagères du présent, nous aurons travaillé à la richesse et à la prospérité de l’avenir ; l’exemple de l’Angleterre, qui est sortie victorieusement de plus d’une épreuve semblable, en fait foi.

La politique espagnole ne marche pas comme toutes les politiques : elle va par reviremens soudains, par soubresauts et par coups de théâtre. Qui eût dit, il y a six mois seulement, que la situation de la Péninsule allait entièrement changer de face, que tout ce qui s’était fait depuis deux ans allait être abrogé et écarté comme un mauvais rêve, que le général Narvaez, alors à demi exilé, était sur le point de redevenir premier ministre, et que ce dernier changement surtout s’accomplirait au milieu du silence et de la tranquillité du pays ? C’est là cependant l’histoire la plus actuelle, la plus incontestable. Le ministère du général O’Donnell a été brusquement précipité du faîte où il se croyait encore solidement assis ; le général Narvaez est à la tête du conseil, lorsque, peu de jours auparavant, il ne savait pas s’il lui serait permis de rentrer à Madrid. C’est le lendemain d’un bal donné par la reine à l’occasion de l’anniversaire de sa naissance que la crise a éclaté, et c’est au sein même de la fête qu’est survenue la péripétie qui a précipité le dénoûment. On a dit que la chute du cabinet O’Donnell-Rios-Rosas était due à un dissentiment entre Isabelle II et ses ministres au sujet de la suspension complète et absolue de la loi de désamortissement. Si nous ne nous trompons, cela n’est pas tout à fait exact. La suspension de la loi de désamortissement a été un prétexte trouvé après coup pour donner une couleur politique à l’événement, pour abriter aussi la prérogative royale. Le fait est que, la veille encore, le ministère se confiait plus que jamais dans sa fortune et se croyait inébranlable. Il se trompait pour plusieurs causes : d’abord parce qu’il était travaillé par des divisions intérieures propres à énerver son