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à distinguer dans la destinée de l’imprimerie russe de Londres : l’une, assez stérile, a précédé la guerre ; l’autre, qui promet d’être féconde, s’est ouverte depuis la paix du 30 mars. À la première correspond surtout l’Étoile polaire, recueil ainsi intitulé en souvenir d’un écrit périodique qui paraissait sous le même titre en Russie avant l’insurrection du 14 décembre 1825. Nous ne voulons pas nous occuper ici des publications de M. Hertzen antérieures à la paix ; mais le recueil récemment fondé, et qui représente le mouvement des esprits en Russie dans sa période la plus actuelle, nous paraît mériter quelque attention. Il s’agit des Paroles de Russie {Golossa iz liossii), dont la première livraison vient de paraître.

Remarquons d’abord que si la littérature clandestine a été de tout temps assez répandue en Russie, les manuscrits russes imprimés à Londres et réunis sous le titre de Golossa iz Rossii n’appartiennent point à cette catégorie d’ouvrages insignifians ou indignes d’intérêt qui l’a jusqu’à ce jour défrayée. Ce sont en grande partie des mémoires dont l’empereur Nicolas et les princes de la famille impériale avaient eu connaissance, et quelques-uns avaient même été accueillis par eux avec une attention bienveillante. Le premier volume des Paroles de Russie s’ouvre par une préface dans laquelle M. Hertzen se déclare prêt à n’exclure de son recueil aucune opinion ; le premier article publié est une lettre adressée à l’éditeur par un Russe libéral Ce Russe contredit M. Hertzen, c’est donc là un notable témoignage d’impartialité donné par l’éditeur. Il ne peut lui pardonner, par exemple, d’avoir affirmé que les états occidentaux sont en pleine décadence. Le Russe libéral, comme tous les hommes de son parti, a compris que son pays n’est point de force à se mesurer avec les peuples occidentaux les armes à la main : c’est sur le terrain des réformes civiles et pacifiques qu’il convient d’entrer en lutte. Qu’on ne croie point cependant que le Russe libéral soit un révolutionnaire : il ne s’agit point d’imposer des réformes par la force au gouvernement. La Russie a été châtiée durement par l’empereur Nicolas, comme si l’esprit révolutionnaire l’eût infectée ; mais c’est une erreur ; elle a été traitée comme en France on traitait le compagnon du dauphin, elle a expié les fautes de l’Europe. M. Hertzen est donc bien averti sur les dispositions des libéraux russes, et il fera bien de leur tenir un autre langage.

Un plaidoyer en faveur de la liberté de la presse suit la lettre du Russe libéral. L’argumentation est ici bien conduite, et l’affranchissement de la pensée a trouvé dans l’auteur un habile avocat. La livraison se termine par un travail important, le dernier Règne jugé a haute voix. Le jugement porté sur l’empereur Nicolas est bien sévère. C’est à la politique des deux derniers règnes que la Russie devrait l’embarras dans lequel elle se trouve. On remarque surtout dans ce travail d’intéressantes pages sur le régime bureaucratique. Le nombre des fonctionnaires, nous dit l’auteur, augmente journellement en Russie. Sur 11,000 paquets reçus en moyenne par jour à la poste de Saint-Pétersbourg, 6,000 relèvent du gouvernement. On peut donc estimer à 2,190,000 environ par an le nombre des paquets que mettent en circulation les diverses administrations du pays. Les bureaux des ministères communiquent d’ailleurs entre eux sans recourir à la poste ; c’est pourquoi on évalue généralement à 3 millions au moins le total des paquets au timbre de l’état qui sont apportés annuellement à Pétersbourg. Cependant le gouvernement