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L’aspect de la ville est assez agréable et riant. Quelques établissemens sont en brique; la plupart des maisons sont en planches, mais de forme élégante, et entourées de jardins. Les façades donnent sur la voie publique; elles se cachent à demi derrière les lilas de Chine, les saules, les acacias. Les rues sont larges et tracées à angle droit. Il n’en a pas toujours été ainsi. Dans le principe, chaque colon plantait sa cabane où bon lui semblait. Quand le développement de la ville nécessita l’organisation d’une municipalité, celle-ci signala son entrée en fonctions en ordonnant l’alignement des rues; le shérif, homme d’action assez peu accommodant, fut chargé de l’exécution du décret. Il publia que sous huit jours toutes les maisons devraient être sur l’alignement tracé par l’arpenteur municipal; celles qui ne se seraient pas dérangées assez vite seraient détruites sans rémission. On connaissait le caractère du shérif, on savait que sa menace n’était pas vaine, et pendant une semaine toutes les maisons furent en branle, les unes avançant, les autres reculant au moyen de grands rouleaux sur lesquels elles glissaient. Le terrain était inégal et sablonneux; à chaque instant, des maisons allant ou venant, se rencontraient; arrêtées dans leur acheminement, elles s’accumulaient sur le même point, la circulation était obstruée, et, comme le shérif ne plaisantait pas et qu’il fallait arriver à temps, il s’ensuivait des cris, des disputes et des collisions. Cependant presque toutes les maisons en planches furent alignées au terme fixé. Quant aux cabanes de roseaux et de branches d’arbres, elles n’avaient pu bouger, et elles furent abattues impitoyablement par le shérif, accompagné d’une vingtaine d’hommes armés de haches.

A Brownsville, comme sur toutes les frontières texiennes, comme dans tous les états nouveaux de l’Union, la population présente les mélanges les plus bizarres et les plus variables. On ne saurait faire un tableau complet d’une société aussi diverse et aussi mobile; la description sera vraie à un certain moment et dans certaine localité; à quelque temps ou à quelques lieues de là, elle devient fausse. Non-seulement c’est un assemblage confus d’hommes de toutes nations, Mexicains, Espagnols, Français, Anglo-Saxons ou autres; mais à côté de personnes qui se font remarquer par leur éducation, leurs connaissances, leur intelligence et leur caractère honorable, se trouve ce que les États-Unis y ont jeté de leur écume, des banqueroutiers, des repris de justice, d’anciens volontaires de la guerre de l’indépendance, qui sont venus chercher, dans un pays où n’existait, à proprement dire, aucun pouvoir judicaire constitué, les aventures et les profits illicites. Les grandes villes de l’Union possèdent une police quelconque; mais sur les frontières des nouveaux états la loi a peu d’empire, et il n’y a pas de force armée pour la faire respecter. Avant