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ombre de mystère, tout ce qui se faisait par des pratiques adroites ou secrètes les frappait d’un étonnement craintif. Ils se contentaient de croire que les choses surprenantes étaient inexplicables, sans faire le moindre effort pour en pénétrer les causes, souvent faciles à saisir. Je dois dire pour leur excuse que, dans ces vastes pays incomplètement explorés et fort peu gouvernés, on rencontre presque à chaque pas des faits étranges et extraordinaires : les uns viennent de la méchanceté artificieuse des hommes, les autres sont des phénomènes naturels peu connus; d’autres enfin se rattachent à l’idolâtrie des anciens habitans.

Un Européen demeurant à Matamoros avait séduit une jeune Mexicaine et lui avait promis de l’épouser. Au moment du mariage, il hésita et finit par se rétracter. Les parens de la jeune fille ne témoignèrent aucun ressentiment; ils continuèrent des relations amicales avec le séducteur, qui se persuada bientôt que la chose était pardonnée. Un jour on l’invita à dîner; à la fin du repas, des vertiges, d’affreuses douleurs de tête le prirent; il s’écria qu’il était empoisonné, se sauva et courut se jeter dans le Rio-Grande, devant Brownsville. A cet endroit, il y a toujours des passans, des promeneurs et des barilleros (porteurs d’eau) ; on le tira de l’eau : sa vie fut sauve, mais sa raison était perdue. Recueilli par un Français, il remplissait sa maison de cris de terreur; chaque personne qu’il voyait était pour lui un empoisonneur, il ne voulait prendre aucune espèce de nourriture. Il s’échappa, se jeta de nouveau dans le Rio-Grande et en fut encore retiré vivant. C’est alors qu’une femme de couleur, ayant vécu longtemps en Louisiane, déclara que cette folie offrait tous les caractères de celle que provoque l’absorption de liquides, drogues ou parfums connus seulement de la secte des vaudoux. Elle raconta que sa mère était devenue subitement folle après avoir visité une maison de vaudoux ; elle assura que si l’on pouvait décider ce malheureux à contracter le mariage projeté et rompu, sa folie cesserait. En effet, après une visite que fit ce jeune homme chez les parens de celle qu’il avait abandonnée, la raison lui revint, et le mariage fut célébré quelques jours après.

Je me rappelais avoir vu sur un bateau à vapeur une lithographie représentant une danse de vaudoux. C’étaient des nègres et des blancs des deux sexes entièrement nus formant un rond en se donnant la main et gambadant joyeusement au milieu de serpens venimeux qui s’enroulaient autour de leurs jambes. Trouvant l’occasion d’apprendre quelque chose sur cette secte singulière, dont l’immoralité surpasse celle des mormons et dont la puissance mystérieuse éclate par de funestes effets, j’interrogeai cette femme originaire de la Louisiane. « Un jour, me dit-elle, ma mère reçut un