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ses affaires avec une abnégation touchante pour aider Isidore et nous soigner, mon confrère et moi, tous deux gisans, tous deux à demi morts. Au bout de douze jours cependant, je revenais à la santé, mais Phillip, pour se soustraire à notre reconnaissance, était allé à la Nouvelle-Orléans. J’eus du moins la joie de le revoir plus tard dans cette ville.

Pour surcroît, de nombreuses maladies sévirent parmi la population féminine des frontières. Mes fatigues étaient inouies, et pourtant je ne suffisais pas à la peine, car ma paroisse proprement dite avait une étendue de trente à quarante lieues et contenait près de trente-cinq mille âmes. Je ne pouvais me rendre dans les ranchos, villes et villages situés à une certaine distance, qu’à des époques déterminées, de sorte que les malheureux qui mouraient avant ou après l’une de ces époques étaient privés des derniers sacremens. Cependant je multipliais mes courses autant que je pouvais; j’étais souvent à cheval toute la nuit, je prenais à peine le temps de manger, et quelquefois je m’égarais.

J’eus souvent l’idée de bâtir des églises dans les principaux établissemens des bords du fleuve, entre autres à Rio-Grande-City. Quand je consultais les habitans, protestans et catholiques m’offraient avec empressement leur concours et leur argent. Une église augmente immédiatement l’importance d’un établissement. A Rio-Grande-City, l’église aurait attiré un grand nombre de Mexicains de Camargo et des frontières qui avaient envie de s’y transporter pour y trouver des denrées peu coûteuses et une existence plus facile, mais qui redoutaient la licence qui y règne : peu de moralité, beaucoup d’arbitraire, point de secours religieux. Je fis le plan de l’édifice, je calculai les frais de construction; mais, quand il fallut commencer, je ne trouvai personne qui se chargeât d’aucune responsabilité. Je ne pouvais m’absenter de Brownsville pour prendre sur moi ce fardeau, et je dus ajourner indéfiniment l’exécution de ce projet.

Les grandes solennités religieuses étaient la fête de Notre-Dame de Guadalupe, patronne des Mexicains, Noël et Pâques. A la fête de Notre-Dame, les rancheros se rassemblaient dans la chapelle après la nuit tombée, on y chantait en chœur les litanies de la sainte Vierge et les vêpres, puis on faisait une procession aux flambeaux. De jeunes filles vêtues de blanc portaient, sur un brancard recouvert de draperies, de fleurs et de rubans, un tableau représentant la patronne des Mexicains; elles étaient suivies de musiciens jouant du violon et de la mandoline; je venais après les musiciens, et le peuple marchait derrière moi. Nous portions tous à la main des cierges allumés ou des lanternes, et nous récitions le rosaire à haute voix. Lorsque nous passions devant une cabane, la procession était saluée par des